Portrait du Dr Léo Pariseau vers 1921, peint par Adrien Hébert (1890-1967).

Les Chroniques Exlibris – La médecine antique dans la bibliothèque du Dr Léo Pariseau

Acquise par l’Université de Montréal quelques mois avant que ne s’éteigne cette figure notable de l’histoire de la médecine au Québec, la bibliothèque du docteur Léo Pariseau (1882-1944) est un joyau sans équivalent parmi les bibliothèques québécoises de langue française et elle n’a de digne rivale que la Osler Library de l’Université McGill.

Intellectuel de premier plan ayant été de tous les combats pour l’avancement des sciences au Canada français, pionnier de la radiologie, médecin attaché à l’Hôtel-Dieu de Montréal, professeur à l’Université de Montréal et premier président de l’ACFAS (aujourd’hui Association francophone pour le savoir), le docteur Léo Pariseau était aussi un bibliophile passionné qui a constitué une collection unique présentant, comme dans un puissant raccourci, toute l’histoire du développement des sciences et de la médecine, de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Plus qu’une belle collection de livres rares et anciens, cette bibliothèque se voulait un outil de travail et c’est dans cet esprit que le docteur Pariseau l’a transmise aux chercheurs d’aujourd’hui. Afin d’en apprécier toute la richesse, nous y consacrerons d’ailleurs quelques chroniques.

Hippocrate est le plus grand des médecins et le fondateur de la médecine.

— Sénèque

Hippocrate, Celse et Galien

Hippocrate. Hippocratis Coi medicorum omnium longe principis Opera. Paris, 1546.
Hippocrate – Paris, 1546.

Voulant retracer et documenter l’histoire des sciences et de la médecine, il n’est pas étonnant de retrouver dans la bibliothèque du docteur Pariseau les œuvres des premières grandes figures de l’histoire de la médecine occidentale qui débute en Grèce avec Hippocrate au Ve siècle avant notre ère. Considéré comme le Père de la médecine pour en avoir fait une profession à part entière, basée sur la raison et l’éthique, Hippocrate est forcément bien représenté dans la collection avec plus d’une quarantaine de titres. Les plus significatifs sont les éditions du XVIe siècle alors que la Renaissance redécouvre Hippocrate dans son texte grec. Mais n’ayez crainte, il n’est point nécessaire de maîtriser le grec et le latin pour converser avec notre Hippocrate, car plusieurs éditions anciennes en langue française sont aussi présentes sur les rayons! Signalons aussi, parmi les auteurs antiques, plusieurs titres du Romain Celse (25 AEC – 50 EC) que le docteur Pariseau semblait particulièrement apprécier : « Confrères, procurez-vous une édition de Celse. Lisez-la, relisez-la, pratiquez-la. Dans toute la vieille littérature médicale, il n’y a pas de style plus exquis ». Enfin, la bibliothèque compte bien sûr plusieurs titres de Galien (130-200), père de la physiologie expérimentale et de l’anatomie, et seconde figure incontournable de l’histoire de la médecine avec Hippocrate. Si Galien s’est trompé en disséquant des cochons et des singes pour en appliquer ses découvertes au corps humain, le docteur Pariseau ne semble pas trop lui en tenir rigueur : « Il s’est trompé souvent. Hélas oui! On remâcha Galien pendant près de 14 siècles… comme on rabâcha Aristote ».

Une singulière édition!

Hippocrate et Galien étant les deux médecins les plus célèbres de l’Antiquité, leurs textes ont souvent été édités ensemble. Parmi ces éditions, l’une d’elles se démarque particulièrement et elle se trouve par chance dans la bibliothèque du docteur Pariseau. Il s’agit de la monumentale édition en 13 tomes in-folio des œuvres complètes d’Hippocrate et Galien éditée par le médecin parisien René Chartier (1572-1654). Première édition bilingue (grec/latin), cette entreprise éditoriale unique par son ampleur et son ambition provoquera la ruine de son auteur, en plus de donner de sérieux maux de tête aux bibliographes! Fortuné et proche de la cour du roi, Chartier débute ce projet à l’aide de ses propres deniers en 1639 (il est alors âgé de 65 ans!). Il débute en force avec huit tomes, soit les tomes 1 à 6… et les tomes 8 et 13, ce dernier tome contenant le privilège du roi nécessaire à la publication de l’ouvrage. Mais il attend ensuite 10 ans pour ne faire paraître que deux tomes, soit les tomes 7… et 11. On comprend déjà la confusion qui s’installe. Malheureusement, malgré un travail considérable et des sommes colossales investies, Chartier décède quelques années plus tard sans avoir achevé son œuvre.

Sa maison est ruinée. Il doit cent fois plus qu’il ne vaut. Sa veuve est chargée de six enfants. Ceux qui ont commencé ce grand projet ne l’achèveront jamais.

— Guy Patin

Guy Patin, régent de la Faculté de médecine de Paris et grand ennemi de la famille Chartier, va pourtant se tromper, car en 1679, trois libraires décident de s’associer pour parachever le travail de Chartier en publiant une « nouvelle édition complète ». En fait, il ne s’agit pas d’une nouvelle édition, car les libraires ont acheté les stocks invendus des 10 tomes précédents publiés en 1639-49. Ils ne font donc qu’imprimer les tomes manquants 9-10 et 12 à la date de 1679*, et décident de masquer subtilement les dates en chiffres romains des anciens exemplaires!

Lettres LXX en chiffre romain (70) collées sur XL : MDCXLIX (1649) devenant MDLXXIX (1679).
Exemple de date maquillée.

À l’aide d’un habile collage, on remplace par exemple le premier X de MDCXXXIX (1639) par un L pour donner MDCLXXIX (1679)! Aussi, comme le 1er tome publié en 1639 arborait en frontispice les portraits de Louis XIII et de Richelieu et que c’est maintenant Louis XIV qui est sur le trône, on fait disparaître le frontispice ainsi que l’ancien privilège du roi par celui du nouveau monarque. Toute cette opération de subterfuge a été si efficace que certains grands bibliographes ont été bernés en croyant que Chartier n’avait en fait rien publié de son vivant et que la seule édition existante était celle de 1679! L’exemplaire se trouvant dans notre collection correspond en tout point à cette étonnante édition maquillée. De plus, il porte l’ex-libris du jésuite Pierre Robinet (1656-1738), confesseur de Philippe V, roi d’Espagne, entre 1705 et 1715. Pas peu fier de posséder un tel exemplaire, le docteur Pariseau aimait de surcroît rappeler que le doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, au début des années 20, n’était nul autre que le Dr Louis de Lotbinière Harwood… descendant de René Chartier par l’entremise de son fils Louis-Téandre Chartier de Lotbinière venu faire souche au Québec en 1651!

En avril, nous poursuivrons la découverte de la Bibliothèque Léo-Pariseau en examinant quelques œuvres phares de la médecine à la Renaissance avec des figures célèbres comme Ambroise Paré, André Vésale et William Harvey.

*Le tome 9 portant la date de 1689, certains bibliographes croient à une erreur alors que d’autres valident cette date.

Rédaction : Normand Trudel, bibliothécaire patrimonial
Photos : Julie Martel

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