Monsieur Caca. Tel est le sobriquet peu flatteur qui affublait le docteur Bertrand Routy en 2015.
Pourquoi? Parce que ce dernier, aujourd’hui directeur du laboratoire d’immunothérapie et d’oncomicrobiome du Centre de recherche du CHUM (CRCHUM), se promenait d’hôpital en hôpital pour prélever des échantillons de selles auprès de personnes ayant subi des traitements contre le cancer.
Les moqueries se sont arrêtées bien vite lorsque le docteur Routy a rendu publique la preuve que le microbiote gastro-intestinal, soit l’ensemble des bactéries du tube digestif, avait un impact sur la réponse des patients aux traitements anticancéreux.
C’est pendant ses études médicales à l’Université de Montréal, au chevet de ses patients, qu’il va alors déclarer « la guerre au cancer ». Habité par cette conviction, Bertrand Routy, originaire d’Aix-en-Provence en France, décide par la suite de se spécialiser en oncologie à l’Université McGill.
Puis, il se dirige vers l’Université de Toronto pour entamer une surspécialité en hématologie au Princess Margaret Hospital, le plus grand centre d’oncologie au Canada. C’est là que le docteur Routy oriente sa carrière vers l’immunothérapie, un domaine émergent et excessivement prometteur. « L’immunothérapie a changé la façon de traiter les patients et a surtout augmenté considérablement l’espérance de vie. Par exemple, en cancer du poumon, on a doublé l’espérance de vie de nos patients et certains ont une très longue réponse, ce qui était impensable à l’époque de la chimiothérapie. »
Le docteur Routy, également professeur adjoint de clinique au Département de médecine de l’Université de Montréal, rappelle que « la chimiothérapie tue les cellules cancéreuses qui se multiplient, alors que l’immunothérapie permet de réactiver le système immunitaire endormi pour détruire la tumeur ».
Une fois son fellowship terminé, il décide de pousser la réflexion plus loin et de compléter un doctorat en immuno-oncologie au centre de soins Gustave Roussy à Paris, le premier centre européen de lutte contre le cancer. Sous la direction de Laurence Zitvogel, oncologue clinicienne et grande sommité de l’immunothérapie, Bertrand Routy publie les fameux articles qui changeront sa carrière pour toujours : ceux qui démontrent que l’efficacité de l’immunothérapie est influencée par les bactéries du tube digestif et que les antibiotiques bloquent son activité.
Dès lors, ses recherches, tant fondamentales que cliniques, portent sur l’impact des antibiotiques sur la réponse à l’immunothérapie et sur la prédiction de cette réponse en fonction du microbiote gastro-intestinal.
Épaulé par son équipe, il s’affaire à déchiffrer les mécanismes impliqués dans ce processus et à mener des essais cliniques afin de vérifier si le microbiote peut être manipulé pour améliorer la réponse à l’immunothérapie.
Si les découvertes de docteur Routy sont hautement encourageantes, le chercheur sait qu’il y encore beaucoup de travail pour espérer un jour combattre les cancers. « En médecine, ce qu’on veut, ce n’est pas seulement prédire la réponse aux traitements, mais aussi en augmenter l’efficacité. C’est pourquoi, grâce au soutien de l’Institut du cancer de Montréal (ICM), nous avons maintenant une plateforme pour étudier le microbiote et comprendre pourquoi les bactéries influencent l’efficacité de l’immunothérapie. C’est encore une zone plus que grise. »
Confronté à l’agressivité des cancers et à la mortalité associée, le docteur Routy s’acharne plus que jamais à améliorer les traitements et à changer la pratique en médecine, travail qui passe tout d’abord par la recherche, particulièrement celle qui est fondamentale. « Quand mon alarme sonne le matin et que j’ai les yeux qui piquent, je pense à mes patients et ça me réveille. Le cancer est la cause numéro un de mortalité au Québec. C’est bien d’être médecin et de prescrire des traitements. Mais pour faire un vrai changement, ça commence au labo. »
Depuis son arrivée au CRCHUM, Bertrand Routy et son équipe continuent leur collecte de selles et redoublent d’efforts pour intéresser les autres chercheurs et le grand public au microbiote, une flore peu attrayante par sa nature, mais au potentiel inouï. D’ailleurs, leurs recherches pourraient bénéficier à des traitements qui dépassent largement les cancers. De la dépression à l’obésité, en passant par l’asthme et l’arthrite rhumatoïde, le microbiote est porteur des avancées médicales de demain.
« De Monsieur Caca à aujourd’hui, le monde a vraiment changé. Aujourd’hui, toutes les compagnies pharmaceutiques investissent dans le microbiote. On espère que ce sera la deuxième révolution en oncologie depuis l’immunothérapie et que le microbiote sera l’avenir. »
Novembre 2019
Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux
Photo : Benjamin Seropian