La science est à Yves Brun ce que Cap Pelé, son village natal, est à la mer : indissociable.
Très jeune, son père, alors professeur de physique et de chimie au secondaire, lui fait découvrir les sciences, les phénomènes naturels et les expériences en laboratoire, d’une façon toujours très ludique. « Ses explications sous forme de jeux, ainsi que celles qu’il m’a aidé à trouver par moi-même, ont forgé mon intérêt et ma curiosité pour les sciences », se rappelle le professeur titulaire au Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal.
Plus tard, à l’école secondaire, il tombe sur un article du magazine Sciences & Vie concernant la synthèse des protéines, un papier qui tracera la voie de ses futures recherches. « Je me souviens d’avoir été complètement fasciné par ce sujet. J’ai alors compris que je voulais en savoir plus sur le fonctionnement du vivant. Cet article m’a tellement subjugué, qu’encore aujourd’hui j’aimerais le retrouver », dit le chercheur acadien, un sourire dans la voix.
Son appétit scientifique officiellement ouvert, il prend le chemin de l’Université de Moncton afin de compléter un baccalauréat en biochimie et une maîtrise en chimie, à une époque où débutent le génie génétique, le clonage et le séquençage des gènes. Ses projets de recherche portent alors sur la biosynthèse des protéines, ce même thème qui l’avait accroché tout jeune.
Ses diplômes en poche, Yves Brun entreprend ensuite un doctorat à l’Université Laval. Un été, il assiste à un cours en génétique bactérienne avancé au Cold Spring Harbor Laboratory, dans l’état de New York, la « Mecque de la biologie moléculaire ». En 2015, M. Brun deviendra d’ailleurs l’un des huit conférenciers invités à un colloque célébrant le 70eanniversaire de ce cours fondé par le lauréat du Prix Nobel Max Delbruck.
Au Cold Spring Harbor Laboratory, il assiste à une conférence « absolument fascinante » de Lucy Shapiro, professeure de biologie du développement à l’Université Stanford, sur l’utilisation de la bactérie Caulobacter pour comprendre plusieurs aspects de la cellule bactérienne. « Ça m’a ouvert les yeux quant à la génétique bactérienne, j’y ai développé un amour pour ce domaine. »
C’est sans surprise qu’Yves Brun décide par après de compléter des études postdoctorales auprès de cette même Lucy Shapiro à Stanford. Ensemble, ils étudient la biologie cellulaire et le développement de méthodes de microscopie pour observer les bactéries, un domaine dont elle est l’une des chefs de file.
Après avoir multiplié les projets novateurs lors de son parcours aux cycles supérieurs, Yves Brun est recruté par l’Université de l’Indiana à Bloomington, où il deviendra professeur distingué et détenteur de la Chaire Clyde Culbertson. C’est là qu’il fonde son laboratoire axé sur l’étude de l’organisation spatio-temporelle de la cellule bactérienne, laboratoire maintenant hébergé au pavillon Roger-Gaudry de l’Université de Montréal.
Ses recherches portent sur la croissance et la morphologie des bactéries dans le but de comprendre comment le mur cellulaire est modifié de façon précise dans la division cellulaire. Il s’intéresse également à l’adhésion des cellules aux surfaces et à la formation de biofilms. « La très grande majorité des bactéries dans l’environnement ne sont pas des cellules individuelles qui flottent, elles sont en général attachées à une surface dans des communautés bactériennes qu’on appelle des biofilms. Ces biofilms procurent plusieurs avantages aux bactéries, comme les rendre plus résistantes aux antibiotiques. »
C’est d’ailleurs dans un contexte où la résistance des bactéries aux antibiotiques est en croissance fulgurante que ses recherches prennent tout leur sens; elles pourront servir à développer de nouveaux antibiotiques et apporter des perspectives nouvelles pour lutter contre ce phénomène moderne préoccupant. « Plus nous comprendrons les processus qui font que les bactéries s’attachent aux surfaces, plus nous pourrons inhiber cet attachement et donc, leur efficacité. »
Aujourd’hui, à titre de titulaire de la Chaire de recherche Canada 150 sur la biologie cellulaire bactérienne, il poursuit ses travaux sur les mécanismes fondamentaux des processus bactériens, la résistance aux antibiotiques étant un problème qui l’inquiète énormément. « Je suis complètement d’accord avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui place cet enjeu parmi les plus grandes menaces actuelles pour la santé. Avant les antibiotiques, la majorité des gens qui avaient besoin d’une chirurgie en mouraient, parce que les antibiotiques ne sont pas qu’utilisés pour guérir, mais aussi pour prévenir une infection en milieu hospitalier. Leur inefficacité est en train de devenir très, très dangereuse. »
Yves Brun rappelle que la résistance des bactéries aux antibiotiques est une situation inévitable, peu importe le contexte, car les bactéries se répliquent rapidement et des mutations acquises au hasard peuvent les rendre résistantes. Il dénonce cependant « la surutilisation des antibiotiques dans le domaine agricole et les élevages de masse, tout comme leur prescription abusive dans le système de santé, qui donnent un avantage compétitif aux bactéries résistantes et augmentent leur nombre ».
Afin de contribuer à l’élaboration de solutions pour écarter la menace de l’antibiorésistance, Yves Brun s’affaire à construire des ponts entre plusieurs disciplines. Stimulé par les échanges intellectuels et les nouvelles perspectives, il développe notamment des partenariats avec des bioingénieurs de Polytechnique Montréal, des biochimistes du Département de biochimie et médecine moléculaire et des neuroscientifiques du Département de pharmacologie et physiologie.
« J’adore les réflexions approfondies qui se font en groupe. Le cliché du scientifique introverti n’est pas toujours vrai. Ce que j’aime le plus dans la recherche c’est l’interaction avec les autres chercheurs, l’échange des connaissances, le partage d’une passion commune, surtout quand on travaille ensemble pour faire avancer la science, ce qui aide éventuellement à améliorer la santé de la population. Quand j’ai une bonne idée ou quand mon labo obtient un résultat intéressant, je ne peux m’empêcher d’en parler, comme m’a appris mon père. »
Décembre 2019
Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux
Photo : Benjamin Seropian