Antoine Boivin

Soigner autrement

À la fois médecin et musicien, Antoine Boivin aime pratiquer la médecine comme il aime jouer de la musique : en groupe. « C’est une image qui illustre bien ma façon de faire les choses, affirme le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le partenariat avec les patients et le public, et membre du quatuor de musique traditionnelle Les Vieux Borlots. En musique, il existe différents types de musiciens. Il y a des solistes qui font une prestation sur scène devant un public qui écoute. Mais il y a aussi la musique traditionnelle où les spectateurs participent à la musique et le rôle du musicien est alors celui d’un facilitateur et d’un animateur qui doit les convaincre qu’ils sont capables de jouer, que ce n’est pas si compliqué et que ça n’exige pas un diplôme. Et c’est exactement la manière dont je fonctionne en tant que médecin. »

L’intérêt du Dr Boivin pour la participation des patients et des citoyens en santé ne date pas d’hier et est intimement lié à sa conception « plus sociale et plus humaine » de la médecine, sa volonté de pratiquer cette dernière « autrement ». Lorsqu’il a entamé sa carrière de clinicien au début des années 2000, le natif de l’île d’Orléans s’est rapidement trouvé aux prises avec un sérieux dilemme. « À l’époque où j’ai été formé, un bon médecin devait avoir une pratique à la fois centrée sur les besoins des patients et fondée sur des données probantes et scientifiques, raconte celui qui a travaillé pendant près de 10 ans en Abitibi-Témiscamingue. Mais comment concilier ces deux principes quand un patient diabétique, dont il faudrait faire baisser la glycémie pour qu’elle atteigne tel seuil, nous dit que sa priorité, c’est de ne pas avoir d’effets secondaires et que les traitements sont trop chers? Cela me semblait impossible et c’était, pour moi, un problème de fond. »

Si l’on veut que le système de santé réponde vraiment aux besoins des gens, ces derniers ne peuvent pas juste participer aux choix individuels de soins. Il faut aussi qu’on leur donne une voix dans les choix collectifs…

Ce problème est l’une des raisons qui ont amené Antoine Boivin à s’intéresser au partenariat avec les patients et le public en matière de santé, un partenariat qui, selon lui, doit se faire en aval comme en amont. « Si l’on veut que le système de santé réponde vraiment aux besoins des gens, ces derniers ne peuvent pas juste participer aux choix individuels de soins. Il faut aussi qu’on leur donne une voix dans les choix collectifs afin qu’ils puissent avoir accès à des options signifiantes sur le plan personnel », précise le chercheur du Centre de recherche du CHUM et professeur adjoint au Département de médecine familiale de l’Université de Montréal. À ses yeux, les savoirs des professionnels de la santé et ceux des patients sont complémentaires. « Le professionnel est l’expert de la maladie et le patient est l’expert de la vie avec la maladie, soutient celui qui a même fait un doctorat sur le sujet auprès de l’Institut scientifique pour la qualité des soins de santé de l’Université Radboud de Nimègue aux Pays-Bas. C’est le savoir expérientiel de ce dernier qu’il faut mettre à profit non seulement dans les soins, mais aussi dans la recherche, l’enseignement et l’élaboration des politiques publiques. »

C’est dans le but de faire de cette vision une réalité que le Dr Boivin s’est joint à l’Université de Montréal en 2014. « Mon objectif était de me rapprocher de la Direction collaboration et partenariat patient (DCPP) de la Faculté de médecine », confie-t-il à propos de l’initiative lancée en 2010 par Vincent Dumez, un patient de longue date traité pour hémophilie et d’autres maladies chroniques, recruté par l’ancien doyen Jean Rouleau. « Ce que M. Dumez a bâti, c’est probablement le plus gros programme d’intégration des patients dans l’enseignement, les soins de santé et la recherche, poursuit Antoine Boivin. Ce que j’ai fait, c’est ajouter l’expertise scientifique au terrain empirique phénoménal qu’il a mis sur pied. » Deux ans plus tard, les deux hommes fondent le Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public (CEPPP) afin de rassembler les spécialistes de l’engagement des patients en santé et les scientifiques qui l’étudient. Le CEPPP comprend trois volets : une école afin de former les gens qui souhaitent travailler ensemble, un réseau interdisciplinaire pour permettre à tous les acteurs du milieu de créer des liens et d’échanger ainsi qu’un laboratoire afin de soutenir la science et la recherche. « Parfois, je nous compare à un institut de tango : nous sommes là pour apprendre aux gens qui nous sollicitent à danser ensemble sans se piler sur les pieds », commente le Dr Boivin.

Parallèlement, Antoine Boivin continue de pratiquer comme clinicien auprès du Groupe de médecine familiale (GMF) Notre-Dame tout en pilotant un projet de recherche qui lui tient tout particulièrement à cœur. « C’est une petite expérience visant à vérifier s’il est possible de soigner des patients avec une patiente partenaire », explique-t-il au sujet du projet chapeauté par le CEPPP. Le principe est simple : le médecin envoie à Ghislaine Rouly, une dame qui a accumulé une expérience de vie avec la maladie considérable, certains de ses patients ayant des problèmes de santé chroniques aggravés par d’autres problématiques comme l’isolement social ou la pauvreté. Mme Rouly évalue d’abord les besoins du patient par rapport à l’impact de la maladie sur son projet de vie et le rôle qu’il joue au sein de la société puis l’aide à développer ses propres compétences de soins et soutient son intégration à un réseau communautaire d’entraide. « Comme médecin, cela m’aide à réorienter mon plan de traitement vers les vrais problèmes du patient », indique le Dr Boivin, qui espère bientôt commencer à tester l’idée à plus grande échelle et à en évaluer les effets.

À l’instar de la musique traditionnelle, ce projet est un bon exemple du type de pratique qu’Antoine Boivin privilégie. « Je suis non seulement un musicien participatif, mais aussi un médecin participatif et un chercheur participatif, un rassembleur de personnes et de connaissances, résume-t-il. On est tellement plus intelligents quand on réfléchit avec les patients et les citoyens que juste entre professionnels. Comme le disait Euripide : aucun de nous ne sait ce que nous savons tous ensemble. »

 

Mars 2018
Rédaction : Annik Chainey
Photo : Bonesso-Dumas

Affiliation principale

Lieu de travail

Centre de recherche du CHUM (CRCHUM)

Disciplines de recherche

– Partenariat patient
– Participation du public
– Soins de première ligne
– Recherche sur les services de santé
– Vieillissement et maladies chroniques

Chercheuses et chercheurs reliés