Manon Choinière

Étudier une douleur silencieuse

Manon Choinière sait que son domaine de recherche n’est pas des plus populaires. « La douleur chronique n’est pas un sujet sexy, on n’en meurt pas et c’est un phénomène difficilement quantifiable, admet la chercheuse. La prise de la pression artérielle d’un individu souffrant d’hypertension permet d’avoir une donnée objective, mais l’évaluation de la douleur est subjective. Les patients souffrant de douleur chronique sont souvent stigmatisés et parfois assimilés à des gens paresseux qui n’ont pas réellement mal et ne veulent pas travailler. »

Au Canada, les coûts directs et indirects liés à la douleur chronique, qui affecte plus de 20 % des Canadiens, s’élèveraient à environ 50 milliards de dollars, des coûts supérieurs à ceux associés aux maladies cardiovasculaires, au diabète et au cancer. « Selon une étude pancanadienne que nous avons effectuée en 2010 auprès de patients sur des listes d’attente de cliniques spécialisées dans le traitement de la douleur chronique, le coût mensuel moyen était de 3 112 $ par patient. En plus des coûts associés à l’utilisation des ressources de santé et la perte de productivité, une personne en quête d’un soulagement qui consulte plusieurs professionnels de la santé peut dépenser une fortune en traitements traditionnels et alternatifs », déclare-t-elle.

L’intérêt pour la douleur chronique s’est manifesté chez Manon Choinière en lisant, dans le cadre de son baccalauréat en psychologie à l’Université de Montréal, le livre The Puzzle of Pain du Dr Ronald Melzack, une sommité mondiale dans le domaine de la douleur chronique. « J’ai su après avoir lu ce livre que je souhaitais travailler sur ce problème. Un de mes professeurs de l’époque, Franco Lepore, m’a dit un jour : « Tu sais, Dr Melzack enseigne à l’Université McGill ». Je me suis donc inscrite à la maîtrise à McGill afin de travailler avec cet homme extraordinaire. J’ai été aussi privilégiée d’être son étudiante au doctorat et postdoctorat. »

Au Canada, les coûts directs et indirects liés à la douleur chronique, qui affecte plus de 20 % des Canadiens, s’élèveraient à environ 50 milliards de dollars, des coûts supérieurs à ceux associés aux maladies cardiovasculaires, au diabète et au cancer.

L’étudiante que Dr Melzack a un jour prise sous son aile est aujourd’hui professeure titulaire affiliée au Département d’anesthésiologie et professeure accréditée au Département de pharmacologie et à l’École de réadaptation. Elle effectue ses travaux de recherche au Centre de recherche du CHUM. De son bureau décoré de peintures d’artistes québécois, qui témoignent de l’intérêt de la chercheuse pour l’art, Manon Choinière planche sur plusieurs projets.

Elle codirige actuellement une vaste étude débutée en 2015 auprès de 2 000 patients souffrant d’arthrose du genou qui vise à outiller les médecins de première ligne afin qu’ils puissent mieux diagnostiquer et traiter ce type de douleur. « Après des mois d’attente, un patient peut être vu par un orthopédiste pour se faire dire qu’il n’a pas besoin d’une opération, mais plutôt de physiothérapie. Il y a beaucoup d’examens médicaux et de consultations inutiles en matière de douleur arthrosique du genou. Ma collègue ingénieure, Nicola Hagemeister, a participé à la conception d’un outil diagnostic précis, le seul appareil permettant d’analyser en trois dimensions et en temps réel les mouvements du genou, qui évalue la biomécanique de cette articulation à l’aide d’une technologie de graphie cinématique. »

Dans le cadre d’un autre projet, la chercheuse et son équipe s’intéressent aux facteurs impliqués dans la transition de la douleur aiguë à chronique en apportant une attention particulière aux trajectoires de variabilité de l’intensité de la douleur dans le temps chez les patients souffrant de maux de dos, et ce, en utilisant des modèles statistiques avancés. « En déterminant les types de trajectoires de douleur, nous pourrons mieux cibler nos interventions et ainsi, améliorer la prestation des soins et des services pour ces patients, tout en empêchant la détérioration de leur état. »

En 2007, l’équipe de recherche de Mme Choinière a implanté le Registre Québec Douleur, une base de données biopsychosociales colligée de façon prospective auprès d’une cohorte de patients référés dans cinq grandes cliniques de traitement multidisciplinaire de la douleur au Québec. « Ce registre compte plus de 9 300 patients et nous a permis, entre autres, d’effectuer des études sur le dépistage du risque d’abus et l’efficacité d’une utilisation à long terme des médicaments opioïdes, comme la morphine, dans le traitement de la douleur chronique. Nous tentons de déterminer si ces médicaments améliorent réellement la qualité de vie des patients. »

Quand Manon Choinière n’est pas au CRCHUM, elle adore mitonner de bons plats pour ses proches ou dévaler les montagnes en ski alpin au Québec et dans l’Ouest canadien. Son apparence soignée dénote un goût certain pour la mode. « Quand j’ai terminé de rédiger une demande de subvention, je m’achète des chaussures ou un beau vêtement en récompense. Si j’obtiens la subvention, je me récompense aussi et si je ne l’obtiens pas … et bien je vais magasiner quand même! » lance-t-elle en riant. La lecture est une véritable source de bonheur pour la chercheuse. « Je dévore des romans policiers d’auteurs scandinaves comme Henning Mankell et Jo Nesbo. La lecture me fait décrocher de mon travail. »

 

Février 2016
Rédaction : Técia Pépin
Photo : bonesso-dumas

Affiliation principale

Lieu de travail

Centre de recherche du CHUM (CRCHUM)

Disciplines de recherche

– Conséquences biopsychosociales de la douleur aiguë et chronique
– Facteurs de risque impliqués dans le passage d’une douleur aiguë à chronique
– Évaluation des ressources de soins et de qualité des pratiques analgésiques

Chercheuses et chercheurs reliés