Éric A. Cohen

Chercheur avant-gardiste

Début des années 1980. Une mystérieuse épidémie fait son apparition, frappant d’abord la communauté gaie de San Francisco avant de commencer à se propager un peu partout à travers le monde. Éric A. Cohen termine son doctorat en biologie moléculaire à l’Université de Montréal lorsque le virus du VIH est enfin isolé. « J’ai tout de suite senti que cette découverte allait avoir un impact scientifique et médical important, confie l’actuel directeur de l’unité de recherche en rétrovirologie humaine de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en rétrovirologie humaine. J’ai communiqué avec plusieurs laboratoires qui travaillaient dans ce domaine et, en 1986, j’ai amorcé un stage postdoctoral au Dana-Farber Cancer Institute à Boston. C’est là que j’ai commencé à étudier le VIH. »

Comptant parmi les premiers scientifiques canadiens à s’intéresser au VIH, M. Cohen participe durant son postdoctorat à l’identification de deux protéines virales jouant un rôle central dans la multiplication et la propagation du virus : Vpu et Vpr. « Dans le génome du virus, il y avait ce qu’on appelle des cadres de lecture ouverts, c’est-à-dire des séquences potentiellement codantes, mais qui ne ressemblaient à rien de ce que l’on connaissait, explique-t-il. Grâce à un don d’environ 150 000 $ versé par le designer Ralph Lauren, qui était affolé de voir le monde de la mode être décimé par ce virus, nous avons pu explorer ces cadres de manière systématique et déterminer s’ils codaient pour des protéines et fonctions virales. C’était vraiment un projet risqué, mais c’est comme ça que nous avons fini par découvrir plusieurs protéines du VIH, dont Vpu et Vpr. »

Après quatre années à Boston, Éric A. Cohen est recruté par le Département de microbiologie et d’immunologie de l’Université de Montréal, où il implante un laboratoire de confinement biologique permettant de travailler sur le VIH. « J’ai démarré un programme de recherche sur les aspects cellulaires et moléculaires qui contrôlent la réplication du virus dans un contexte où il fallait cerner toutes les fonctions essentielles du VIH afin de développer des agents qui pourraient contrôler sa multiplication et sa transmission chez les individus infectés », indique le chercheur de 56 ans, qui est né au Maroc et a émigré au Québec à l’âge de 13 ans avec sa famille.

C’était vraiment un projet risqué, mais c’est comme ça que nous avons fini par découvrir plusieurs protéines du VIH, dont Vpu et Vpr.

En 2004, M. Cohen relocalise ses activités de recherche à l’IRCM. Ce changement coïncide avec une nouvelle phase de ses recherches dans le cadre de laquelle il commence à examiner et définir les interactions VIH-hôte qui régissent la réplication et la persistance virales. « Très rapidement, on a réalisé que les cellules humaines n’étaient pas forcément un milieu hospitalier pour le virus, que certaines protéines cellulaires pouvaient inhiber le VIH à des étapes très précises de son cycle de multiplication. L’une d’entre elles est téthérine ou BST2, explique-t-il. Or, mon équipe a démontré que le VIH contrecarrait ce système de défense naturel grâce à sa protéine Vpu, qui se lie à BST2 et induit sa dégradation afin de l’empêcher de bloquer la relâche et la transmission du virus. » Le laboratoire du chercheur s’affaire maintenant à trouver des moyens d’interférer avec ce mécanisme. « Si l’on pouvait rétablir cette barrière de protection, on diminuerait certainement la capacité de transmission du VIH », note-t-il.

Outre ces projets de nature fondamentale, Éric A. Cohen, travaille également, de concert avec plusieurs autres spécialistes mondiaux du VIH, à un nouvel objectif : guérir les patients. « Depuis 1996-1997, nous avons des agents antirétroviraux qui ralentissent la progression de la maladie, mais ne guérissent pas les personnes infectées parce que le virus a une grande plasticité et qu’il est capable de se maintenir sous diverses formes chez les patients traités, raconte le professeur titulaire au Département de microbiologie et d’immunologie de l’Université de Montréal et professeur associé au Département de médecine de l’Université McGill. À partir de 2011, il y a eu une mobilisation à l’échelle globale pour orienter le programme scientifique concernant la guérison. Cette mobilisation est très semblable à celle qui s’était manifestée dans les années 1980 et début des années 1990 pour identifier le virus et mettre au point des agents antiviraux efficaces. Plusieurs pays ont lancé des consortiums de recherche, dont le Canada à travers les Instituts de recherche en santé du Canada, qui a mis sur pied CanCURE (Consortium canadien sur la guérison du VIH), dont j’assume la direction scientifique. » Au cours des prochaines années, les membres de cette équipe multidisciplinaire pancanadienne tenteront notamment de déterminer si les macrophages, des cellules prises comme cibles par le VIH, peuvent servir de réservoirs au virus chez les patients traités et, si c’est le cas, de développer des stratégies pour les éliminer.

Selon M. Cohen, le domaine du VIH est un bon exemple de l’effet rassembleur que peut avoir la recherche scientifique. « Je pense qu’à travers la science, et c’est quelque chose à laquelle je crois fermement, on peut surmonter les différends qui divisent les êtres humains, affirme le chercheur. Quand on travaille sur une maladie comme le VIH/SIDA qui touche près de 34 millions de personnes à l’échelle de la planète, les barrières ne comptent plus. Seuls une mobilisation et un effort de recherche global finiront par venir à bout de cette maladie. »

 

Mars 2015
Rédaction : Annik Chainey

Affiliation principale

Lieu de travail

IRCM, unité de recherche en rétrovirologie humaine

Disciplines de recherche

– VIH/SIDA
– Retrovirus

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