Même si le cannabis module le fonctionnement des circuits neurobiologiques qui gouvernent l’appétit, son effet sur la prise de poids est complexe puisqu’il semble modifié par plusieurs facteurs, indique Didier Jutras-Aswad, professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche du CHUM.
«Il est connu, et les consommateurs le rapportent souvent, que la prise de cannabis entraine une augmentation transitoire de l’appétit. Quant à savoir si la consommation de cannabis entraine réellement une prise de poids à plus long terme, les données disponibles sont très limitées. Cette question est d’autant plus difficile à élucider que plusieurs autres facteurs peuvent influencer le poids. Par exemple, la consommation de cannabis peut s’accompagner de prise de nicotine, qui module aussi l’appétit, et plusieurs effets du cannabis varient selon le sexe du consommateur et l’intensité de la consommation. Par cette étude, nous voulions ainsi mieux comprendre l’association entre la consommation de cannabis et la prise de poids, en portant une attention particulière à ces facteurs.»
«Ce qui est étonnant dans cette étude, c’est la complexité des facteurs qui interagissent, affirme le docteur Jutras-Aswad. Nous avons pu regrouper les participants à partir de plusieurs catégories d’intensité de consommation pour mener différentes analyses. Spécifiquement chez les hommes qui consomment du cannabis, mais pas de tabac, plus la fréquence de consommation de cannabis augmentait, plus la prise de poids était importante. Et de façon très intéressante, chez les hommes qui fumaient aussi des cigarettes, l’effet était pratiquement inverse.»
Le chercheur et ses collègues sont parvenus à leurs conclusions grâce à des données recensées par l’étude Nicotine Dependence in Teens (NDIT – dépendance de la nicotine chez les adolescents), dirigée par Jennfier O’Loughlin. À compter de l’âge de 12 ou 13 ans, 1294 jeunes ont accepté de partager chaque année des informations sur, entre autres, leurs régimes alimentaires, leur santé mentale et physique en général (dont notamment le poids et la taille), leurs activités sportives, la fréquence et la quantité de leurs éventuelles consommations de cannabis, d’alcool et de nicotine, et ce jusqu’à l’âge de 24 ans. La nature très détaillée de l’étude NDIT a permis aux chercheurs d’exclure d’autres facteurs susceptibles d’influencer la prise de poids lors de leur analyse. «Les effets des substances qu’on constate dans le contexte très contrôlé d’un laboratoire se traduisent dans la vie réelle de façon plus complexe qu’anticipée, explique le docteur Jutras-Aswad. L’étude NDIT offrait la chance d’avoir des données longitudinales détaillées nous permettant de mieux répondre à une question de recherche nécessitant de prendre en considération plusieurs facteurs simultanément.»
Les chercheurs ne sont pas capables d’expliquer la différence entre les deux sexes pour le moment, même s’ils ont quelques hypothèses. «Le THC et la cigarette n’affectent pas certains circuits neurobiologiques régulant la faim de la même façon chez l’homme et la femme, explique docteur Jutras-Aswad. On sait aussi que ces cibles au niveau du cerveau sont modulées par des facteurs hormonaux, qui peuvent notamment fluctuer pendant le cycle menstruel. Il y a aussi possiblement des différences psychologiques chez les hommes et les femmes sur leur perception et leur préoccupation par rapport à la prise de poids et à l’alimentation, ce qui pourrait hypothétiquement expliquer pourquoi les hommes semblent sensibles de façon spécifique à l’interaction complexe entre utilisation de cannabis, tabagisme et prise de poids.»
Enfin, l’étude outille les scientifiques et les intervenants dans l’amélioration des connaissances et la lutte contre le tabagisme, l’abus de cannabis, et l’obésité. «Une des grandes forces de notre étude est qu’elle est très instructive sur la façon par laquelle on doit étudier les effets du tabac et du cannabis sur la prise de poids, mais aussi le risque de développer d’autres problèmes de santé. Nos données indiquent qu’il faut prendre en considération la consommation concomitante de tabac et le sexe des individus concernés, déclare le professeur Jutras-Aswad. En ce qui concerne les interventions auprès de la population, un des résultats dont on doit se rappeler, c’est que lorsqu’une personne consomme du cannabis, elle rapporte aussi souvent prendre des produits du tabac. Lorsqu’on consomme une substance, on en consomme souvent d’autres. Il faut donc être prêt à prévenir, dépister et intervenir sur la consommation problématique de plusieurs substances de façon simultanée, conclut docteur Jutras-Aswad.»
À propos de cette étude
Emily Dubé, Jennifer O’Loughlin, Igor Karp et Didier Jutras-Aswad, ont publié «Cigarette smoking may modify the association between cannabis use and adiposity in males» dans Pharmacology Biochemistry and Behavior le 27 mai 2015. L’étude NDIT est financée par la Société Canadienne du Cancer. Le professeur Jutras-Aswad est affilié avec le Département de psychiatrie de l’Université de Montréal et le Centre de Recherche du Centre Hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM); il est détenteur d’une bourse de chercheur-clinicien du Fonds de recherche du Québec – Santé.
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