Pouvons-nous considérer que tous les formats de corps sont valides, que tous les individus, peu importe leur poids ou leur silhouette, ont droit à la liberté de choix même si l’obésité augmente le risque de souffrir de plusieurs maladies chroniques?
Le Département de nutrition, par le biais de la formation continue NUTRIUM, a tenté de faire la lumière sur les façons de percevoir le poids, afin d’outiller les professionnels de la santé à mieux communiquer et intervenir à cet effet.
Intitulée « Le poids comme vous ne l’avez jamais vu » et offerte en webdiffusion, la plus récente journée de formation continue du département a abordé cette question polarisante en explorant les aspects éthiques, historiques, philosophiques, cliniques et sociaux.
Qu’en pensent les sciences sociales?
La journée s’est ouverte sur une conférence offerte par Pierre-Olivier Méthot, professeur de philosophie à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Humanités médicales et histoire de la pensée biologique.
Le professeur a offert un survol de l’histoire pour constater l’évolution de la catégorisation des maladies. Il s’est particulièrement attardé à la conceptualisation de l’obésité et son éventuelle médicalisation, en concluant que « les classifications médicales changent au fil de l’histoire, des avancées scientifiques et des valeurs sociétales ».
Hugues Vaillancourt, conseiller en éthique auprès de la Commissaire à la santé et au bien-être, a rebondi sur cette intervention en expliquant que la conception de l’obésité a des effets sur l’action professionnelle. « D’un point de vue éthique, il faut bien reconnaître ses croyances personnelles en matière de surpoids et d’obésité, et les biais potentiels qu’elles entraînent dans la pratique. »
Selon monsieur Vaillancourt, peu importe l’approche privilégiée par le professionnel de la santé, il doit s’assurer de la maîtriser et de demeurer d’abord à l’écoute de l’objectif visé par le patient.
« Rappelons que la santé n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour jouir de ses ambitions, que le bien-être devrait figurer au sommet des priorités. C’est aux patients de déterminer comment la santé influencera leurs comportements. »
Point de vue clinique
La docteure Mélanie Henderson, pédiatre endocrinologue, professeure au Département de pédiatrie et chercheuse au CHU Sainte-Justine, a ensuite fait le point sur l’obésité pédiatrique.
À ses yeux, il est primordial de prendre en charge cette condition tôt dans le développement de l’enfant; l’obésité menant à des complications dès l’enfance, notamment l’hypertension artérielle et le diabète de type 2 « qui s’avère être beaucoup plus agressif chez l’enfant que l’adulte ».
Elle a toutefois mis l’accent sur l’intérêt d’opter pour une approche multidisciplinaire, comme l’obésité est multifactorielle : forte composante génétique, physiologie, comportements individuels, dynamiques sociales, environnement bâti, forces sociétales, etc. « Somme toute, je préfère axer mes interventions sur l’adoption de saines habitudes de vie, plutôt que sur la perte pondérale. »
Une réflexion qui rejoint également Andrée-Ann Dufour Bouchard, nutritionniste et cheffe de projets chez ÉquiLibre, un organisme visant à prévenir et diminuer les problèmes liés au poids et à l’image corporelle. « L’adoption de saines habitudes de vie a le potentiel d’améliorer la santé, même lorsqu’il n’y a pas perte de poids. »
Selon la nutritionniste, le poids est un sujet à aborder de manière nuancée, puisque personne n’a le plein contrôle sur son poids, le poids est l’un des déterminants de la santé et l’obésité n’est pas simplement le résultat d’une gourmandise excessive ou d’une absence d’activité physique. « Plusieurs personnes croient qu’elles doivent perdre du poids pour améliorer leur santé : il faut les aider à comprendre que ce n’est pas un passage obligé. »
Un mot sur la grossophobie
L’importance de reconnaître les facteurs sociaux et environnementaux qui influencent la santé et le poids a également été mis de l’avant par Marie-France Goyer, candidate au doctorat en sexologie à l’Université du Québec à Montréal.
Sa conférence a creusé le thème de la grossophobie, définie comme la dévaluation sociale et le dénigrement des personnes perçues comme ayant un excès de poids. Madame Goyer a expliqué le concept de santéisation, soit lorsque la santé, devenue valeur centrale, induit parfois de la culpabilisation liée à certaines habitudes de vie considérées comme irresponsables. « Un tel contexte perpétue le mythe voulant que le poids est entièrement l’apanage des choix individuels, alors que dans une certaine mesure, l’obésité reste une conception sociale. »
La conférencière a exposé qu’une telle « pathologisation de la grosseur » entraîne, par exemple, de la discrimination à l’emploi et dans le milieu de l’éducation, mais aussi de la déshumanisation et des conséquences émotionnelles.
En somme, tous les conférenciers étaient d’accord pour affirmer que la question du poids doit être abordée dans son contexte et qu’il est souhaitable de concilier la santé physique et le bien-être global.
Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux