L’asparagine, qu’on trouve dans les aliments comme la viande, les œufs et les produits laitiers, était jusqu’à ce jour considérée comme non essentielle, car elle est produite naturellement par le corps. Or, des chercheurs à l’Université de Montréal et au CHU Sainte-Justine se sont rendus compte que cet acide aminé était indispensable au développement normal du cerveau. Ce n’est pas le cas pour les autres organes. «Les cellules du corps peuvent s’en passer, car elles utilisent l’asparagine fournie par l’alimentation. L’asparagine n’est toutefois pas bien transportée par la barrière hématoencéphalique dans le cerveau», explique le Dr Michaud, professeur titulaire au Département de pédiatrie et coauteur principal de l’étude, qui a constaté que les cellules cérébrales dépendent de la synthèse locale de l’asparagine pour leur fonctionnement. José-Mario Capo-Chichi, premier coauteur, et Grant Mitchell ont également apporté des contributions majeures à la recherche.
En avril 2009, une famille du Québec a vécu le pire drame qui soit pour des parents: un des enfants est mort avant l’âge d’un an d’une maladie génétique rare causant microcéphalie congénitale, déficience intellectuelle, atrophie cérébrale et convulsions réfractaires. Ce décès est d’autant plus tragique qu’il s’agissait du troisième dû à la même maladie au sein de cette famille. Les événements ont amené Jacques Michaud, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et médecin au Service de génétique médicale du CHU Sainte-Justine, à découvrir l’anomalie génétique responsable de ce désordre du développement. «Nous ne sommes pas à la veille d’un médicament miracle, signale le Dr Michaud, mais au moins nous savons maintenant où chercher.»
Leurs travaux ont révélé que le gène touché par des mutations code pour l’asparagine synthétase, l’enzyme responsable de la synthèse d’un acide aminé nommé «asparagine». L’étude de l’équipe est la première à associer une variante génétique spécifique du déficit de cette enzyme. «Chez les sujets en santé, il semble que le niveau d’asparagine synthétase dans le cerveau est suffisant pour alimenter les neurones, déclare le Dr Michaud. Chez les individus qui en manquent, l’enzyme n’est pas produite en quantité suffisante et ce déficit en asparagine altère la prolifération et la survie des cellules durant le développement du cerveau.»
Un traitement potentiel
Les enfants porteurs de cette mutation souffrent, à des degrés variables, de divers symptômes, dont une déficience intellectuelle et une atrophie cérébrale qui peuvent entrainer la mort. La famille dont il est question au début de l’article a perdu trois fils en bas âge en raison de ce désordre. Deux autres de leurs enfants sont vivants et en santé.
Les connaissances acquises sur les mutations du gène pourront être utilisées pour élaborer des traitements. «Nos résultats non seulement ouvrent la porte à une meilleure compréhension de cette maladie, indique le Dr Michaud, mais ils nous donnent des renseignements précieux sur les mécanismes moléculaires jouant un rôle dans le développement du cerveau, ce qui est important pour la mise au point de nouveaux médicaments.»
Un supplément d’asparagine pourrait par exemple être donné aux nourrissons chez qui on a décelé la maladie afin d’assurer un développement normal du cerveau. «La quantité de la supplémentation reste à déterminer et son efficacité à évaluer, affirme le médecin généticien. Comme les enfants naissent déjà avec des anomalies neurologiques, il n’est pas sûr que cette supplémentation corrigerait les déficits neurologiques.»
Création d’un centre de génomique clinique pédiatrique
À ce jour, neuf enfants de quatre familles ont été identifiés comme porteurs de la mutation: trois Québécois, trois enfant d’origine bengalie issus d’une famille qui vit à Toronto et trois Israéliens, chez qui les symptômes sont moindres.
L’équipe du Dr Michaud a découvert la mutation génétique en comparant l’ADN complet des enfants de la famille québécoise qui présentaient des symptômes de la maladie. Les chercheurs ont ensuite désigné les enfants porteurs du seul gène candidat dans d’autres familles. Ce gène est ressorti uniquement chez les jeunes atteints, mais pas chez les enfants non atteints des familles étudiées.
Cette découverte survient au moment où le CHU Sainte-Justine a conclu une entente avec Génome Québec pour créer le premier centre de génomique clinique pédiatrique intégré au Canada. «Ce projet transformera la qualité des soins offerts aux jeunes patients, en vue d’une meilleure prévention dès l’enfance, déclare le Dr Michaud. Plus de 80 % des maladies génétiques se déclarent durant l’enfance ou l’adolescence. Cette technologie nous permettra de séquencer tous les gènes du génome et d’obtenir plus rapidement un portrait génétique de l’enfant, de savoir de quelle maladie il souffre et d’offrir un traitement s’il est disponible ou lorsqu’il le deviendra.»
Personne ressource:
William Raillant-Clark
Attaché de presse international
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À propos de cette étude
Le Dr. Jacques Michaud est professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et médecin au Service de génétique médicale du CHU Sainte-Justine. José-Mario Capo-Chichi et Grant Mitchell sont chercheurs au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine. L’étude “Deficiency of Asparagine Synthetase Causes Congenital Microcephaly and a Progressive Form of Encephalopathy” a été publiée dans Neuron le 16 octobre, 2013 et a été subventionnée par le Fonds de recherche du Québec – Santé, la Epilepsy Foundation, la Jo Rae Wright Fellowship for outstanding women in science, le Réseau de Médecine Génétique Appliquée du Québec, le Center for HIV/AIDS Vaccine Immunology (‘‘CHAVI’’) à travers une subvention du National Institute of Allergy and Infectious Diseases, National Institutes of Health, Grant Number UO1AIO67854, ainsi que du March of Dimes (grant no. 12-FY10-236), et par les Instituts de recherche en santé du Canada (MOP 106499). Des subventions complémentaires ont été accordées par ARRA 1RC2NS070342-01, NIMH Grant RC2MH089915, NINDS Award RC2NS070344, et le Crown Human Genome Center au Weizmann Institute of Science.