Des neurosciences fondamentales jusqu’aux sciences sociales et politiques, la recherche au Département de psychiatrie fait presque le grand écart tant ses champs d’investigation peuvent être diversifiés.
Il y a une tradition de sciences fondamentales et de neurosciences au département avec une chaire en psychopharmacologie menée par le Dr Simon Warby, celle du sommeil par Jacques Montplaisir, l’autisme avec Laurent Mottron, le stress avec Sonia Lupien ou la schizophrénie avec Stéphane Potvin.
Parallèlement à cet ancrage dans ces domaines qui font appel à la génétique, aux laboratoires, à la pharmacologie et à l’imagerie, nous venons de développer un ensemble de cours pour les étudiants en option psychiatrique des sciences biomédicales dans le domaine des humanités.
Ainsi, un premier cours intitulé Psychiatrie et sciences humaines commencera à l’automne. On y enseignera et y proposera des apprentissages sur les relations entre la médecine et les sciences humaines comme la philosophie, l’anthropologie et la littérature (PST 6511). Mona Gupta, psychiatre, professeure et chercheuse en bioéthique a reçu un financement des IRSC pour étudier les relations entre la psychiatrie et la médecine basée sur les données probantes. Elle a étudié également le raisonnement clinique des psychiatres lorsqu‘ils évaluent un patient du premier regard jusqu’à leur conclusion diagnostique à partir d’entretiens filmés et analysés par la chercheuse. Elle est également engagée dans les relations entre l’éthique et la médecine et l’on vient de lui confier des responsabilités dans le dossier de l’aide médicale à mourir afin de participer à l’avancement du savoir sur cette question.
Il en sera de même pour un nouveau cours sur le concept de partenariat patient (PST 6513), une approche où la Faculté de médecine se démarque comme un précurseur et un leader. Concrètement, nous chercherons à savoir formater nos étudiants de maîtrise et du doctorat en ces nouveaux paradigmes d’implication des patients, de leurs responsabilités et leur engagement en recherche, dans l’enseignement et dans l’organisation clinique.
Dans ce dernier domaine, c’est Jean-François Pelletier qui mène des projets de recherche subventionnés où l’on étudie le savoir expérientiel à partir de l’expérience de personnes qui vivent avec des problèmes de santé mentale. Les cochercheurs sont les patients. Il convient alors de transférer leur savoir expérientiel aux professionnels de la santé y compris aux médecins, aux étudiants et aux résidents en psychiatrie.
Ainsi les chercheurs peuvent en même temps prodiguer les cours à nos étudiants à la maîtrise et au doctorat et continuer à travailler dans leur domaine de recherche avec la spécificité de l’interface dans les sciences humaines. Le retour des « humanités » nous semble essentiel en médecine.
Une première mondiale en psychiatrie au CHUM
Le CHUM a été récemment le théâtre d’une première mondiale en matière de soin de la catatonie périodique avec l’implantation d’électrodes sur un patient catatonique réfractaire.
La catatonie périodique est une schizophrénie qui présente un caractère cyclique avec la répétition d’épisodes et des moments de délire. Le patient ne bouge pas et adopte des postures étranges. Il peut se laisser mourir de faim et de soif. Souvent, il existe également une catalepsie avec un maintien des postures imposées.
Dans le cas de patients qui ne répondent pas aux traitements médicamenteux, l’on procède normalement à des traitements de sismothérapie (ECT). Le patient en question a suivi ce type de traitement pendant 15 ans, le nombre maximal de séances d’ECT ayant été atteint, nous avons dû passer à un traitement par stimulation magnétique transcranienne (rTMS).
Cette approche s’est avérée une solution efficace et cruciale à la sismothérapie en plus de dispenser le patient des nombreuses anesthésies générales. Après deux ans de traitement de maintien de rTMS, une stimulation épidurale a été proposée au patient dans le but qu’il soit plus autonome et n’ait plus à subir autant de visites en neuromodulation.
En novembre 2015, après avoir demandé l’avis d’expert et étudié la question sur le plan éthique, nous avons implanté au patient des électrodes positionnées dans l’espace épidural sur la dure-mère, la plus externe et la plus résistante des trois méninges. La stimulation bilatérale du cortex dorsolatéral préfrontal permet désormais une modulation continue et ajustable grâce à un lien avec un « pacemaker » implanté sous la clavicule du patient.
C’est la première fois que cela s’effectuait sur un sujet catatonique réfractaire. Cette importante innovation a été rendue possible grâce à l’expertise de l’équipe de neuromodulation du CHUM et de la neurochirurgienne Marie-Pierre Fournier Gosselin. L’équipe du CHUM psychiatrie-neuromodulation est composée d’infirmières et de deux psychiatres, Paul Lespérance (trouble affectif) et moi-même Emmanuel Stip (psychoses).
Ainsi en même temps que la psychiatrie enrichit son éventail de cours en sciences humaines, elle se rapproche de ses autres origines en neuroscience en développant les stratégies de stimulation cérébrales (stimulation du nerf vague, rTMS, direct current stimulation, deep brain stimulation) pour les affections psychiatriques.
La recherche dans notre département témoigne de notre prise en compte de l’Esprit avec les sciences humaines et du cerveau avec la psychochirurgie. C’est cet équilibre du grand écart qui représente le plus grand défi de la psychiatrie, et c’est aussi ce qui la rend si passionnante.
Emmanuel Stip
Directeur du Département de psychiatrie