Caroline Quach-Thanh Roxane Borgès Da Silva Covid-19 Covid Media

Caroline Quach-Thanh et Roxane Borgès Da Silva, omniprésentes dans les médias


Caroline Quach-Thanh, pédiatre, microbiologiste-infectiologue au CHU Sainte-Justine, professeure à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en prévention des infections, et Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’UdeM (ESPUM), ont toujours aimé faire de la vulgarisation scientifique. Elles étaient déjà interviewées à l’occasion dans les médias avant la pandémie, mais depuis mars 2020 elles y sont devenues omniprésentes! Alors que l’UdeM tiendra ce jeudi la cérémonie Bravo Recherche – Spécial COVID-19, elles ont accepté de témoigner de leur expérience.

À quel point votre rôle d’expertes dans les médias a-t-il changé avec l’arrivée de la pandémie?

Roxane Borgès Da Silva (RBDS): J’ai été citée 860 fois dans les médias entre juin 2020 et juin 2021. La moyenne était d’environ 5 entrevues quotidiennement, mais certains jours, par exemple après avoir écrit une lettre d’opinion dans La Presse, ça pouvait être 20! Les recherchistes ont mon numéro de cellulaire et savent que je me lève tôt, alors parfois je reçois des textos à 5 h 30 où l’on me demande de faire des entrevues vers 7 h dans les émissions matinales et ça peut se terminer aux nouvelles de fin de soirée, à 22h.

Caroline Quach-Thanh (CQT): J’avais donné environ 300 entrevues avant la COVID-19, mais c’est certain que, depuis, le rythme a changé. Nous sommes quand même plusieurs à avoir pris le devant de la scène. Mais maintenant, les gens me reconnaissent dans la rue, m’écrivent des courriels, me disent merci. Au Québec, les gens sont très gentils.

RBDS: Moi, on ne me reconnaît pas dans la rue! Et heureusement parce que ça m’embêterait. J’aime passer inaperçue. Les gens connaissent mon nom, toutefois.

Pourquoi est-ce si important pour vous de donner du temps aux médias?

RBDS: Pour moi, le métier de chercheur n’a d’intérêt que si les recherches qui sont faites servent à quelque chose ou à quelqu’un. Si les résultats sont seulement publiés dans une revue ou tablettés, ça ne m’intéresse pas. Éclairer la décision publique est d’ailleurs la mission du CIRANO [Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations], dont je suis vice-présidente. J’accorde donc énormément d’importance à la diffusion et au transfert des connaissances dans la communauté scientifique, auprès des gouvernements, des syndicats et dans la population en général.

CQT: Pour moi, le rôle de pédagogue est à la fois envers les étudiants et envers le public. C’est important de prendre le temps d’expliquer des questions complexes. J’ai d’ailleurs donné plusieurs conférences qui s’adressaient au grand public, au personnel infirmier et à des collègues, notamment. J’ai aussi fait partie du conseil d’administration du Conseil du loisir scientifique de la région métropolitaine, qui organise des expo-sciences. J’ai toujours été proche du public.

Lorsqu’on accorde des entrevues, est-ce dangereux de se faire piéger par des journalistes ou de voir ses propos mal interprétés?

RBDS: J’entends ces craintes chez plusieurs collègues, qui n’osent pas aller dans les médias pour ces raisons, mais je les encourage à le faire. C’est certain qu’il faut être très bien informé et que c’est possible que le journaliste pose des questions différentes de celles qui avaient été prévues. Généralement, ce n’est pas par mauvaise foi, mais parce que tout va très vite. De plus, les journalistes ne veulent jamais les détails très pointus des plus récents résultats de recherche. Quand on connaît très bien son sujet, on est généralement capable de s’adapter sans préparation additionnelle. Et si ce n’est pas possible, il n’y a aucun problème à dire que la question sort du cadre de son expertise. Les journalistes n’essaient pas de coincer les experts comme ils le font avec les politiciens. D’ailleurs, sur plus de 1000 entrevues que j’ai faites, j’ai été mal citée une fois ou deux seulement et, dès que j’ai communiqué avec le journaliste, il a corrigé la citation. Il ne faut pas s’empêcher d’aller dans les médias à cause de ces craintes.

CQT: Généralement, mon expérience s’est bien déroulée. Effectivement, les journalistes n’essaient pas de coincer les chercheurs comme ils le font avec les politiciens. D’ailleurs, les seules fois où j’ai senti qu’on tentait de me faire trébucher, c’est lorsque je parlais à titre de présidente du Comité consultatif national de l’immunisation [CCNI], qui est un rôle plus politique. Et c’était toujours à l’extérieur du Québec, dans les réseaux anglophones, où la culture est différente. Aussi, j’ai bâti au fil du temps une relation de confiance avec les journalistes du Québec, qui savent que je suis généreuse de mon temps, et, même s’ils peuvent me poser des questions difficiles, je sens une bienveillance.

Avez-vous été victimes d’intimidation en lien avec votre présence dans les médias?

RBDS: Oui. On m’a traité de «confineuse» et envoyé toutes sortes d’insultes. C’est dur, mais en général je suis capable d’en prendre. C’est comme l’eau qui glisse sur le dos d’un canard. Heureusement, mes enfants portent le nom de mon mari, alors eux, ils ne se font pas intimider. Ça, je ne pourrais pas le tolérer. Une fois cependant, j’ai vécu une situation plus difficile qui a suscité du stress dans les deux centres de recherche où je travaille [le CIRANO et le Centre de recherche en santé publique]. J’ai pris une pause de 48 heures pour m’en remettre. Mais après, je suis retournée dans les médias! Il faut quand même noter que je reçois également énormément de messages positifs et même des cartes postales d’inconnus qui me remercient sincèrement.

CQT: Contrairement à Roxane, je ne suis pas dans les médias sociaux. Ça change tout. J’ai essayé, mais je n’étais pas capable de gérer tous ces messages, haineux par moments. J’ai eu des menaces et j’ai vécu de l’intimidation, mais c’était toujours lorsque j’avais pris la parole comme présidente du CCNI après que des décisions controversées avaient été annoncées. Ce qui fait particulièrement mal, c’est lorsque ça vient de collègues. Et c’est arrivé, du côté anglophone.

Pensez-vous vous ennuyer des médias lorsque la situation sanitaire reviendra plus à la normale?

CQT: Mon rôle de présidente et porte-parole du CCNI est terminé et je suis moins présente dans les médias. J’en prends et j’en laisse. Je ne peux pas me couper en 18 pour être présente dans les médias compte tenu de mes autres rôles et responsabilités. Les fins de semaine, à part l’émission [Dessine-moi un dimanche] de Franco Nuovo à Radio-Canada, je n’accepte plus d’entrevues. Mais je vais continuer d’assurer une certaine présence lorsque des questions importantes sont abordées et que je suis disponible.

RBDS: Je n’accepte plus tout maintenant. C’est bien aussi que d’autres collègues soient sollicités. J’ai d’ailleurs créé un petit réseau avec de plus jeunes collègues qui acceptent les demandes d’entrevues et, parfois, je les leur fais suivre. Je suis très heureuse par exemple de voir souvent dans les médias Olivier Drouin, pédiatre au CHU Sainte-Justine et professeur de clinique à l’École de santé publique de l’UdeM. Je ne cours pas après les entrevues, mais je vais continuer d’en accepter parce que pour moi, cela demeure important. C’est une question de bien-être collectif.

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