En 2013, la Fondation Mira a organisé une conférence de presse pour annoncer son intention de doubler le nombre de chiens d’assistance fournis à des familles dont l’un ou plusieurs des enfants souffrent d’autisme. Cette décision découlait d’une étude réalisée par le défunt neuropsychologue Robert Viau en collaboration avec Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain (CESH) et directrice scientifique du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM), qui démontrait l’impact positif de l’animal sur les petits patients et leurs proches. « J’ai assisté à la conférence et j’ai pleuré comme une Madeleine en écoutant une maman raconter comment l’arrivée du chien avait changé la vie de ses deux enfants autistes et la sienne, relate Mme Lupien. Et je me suis dit que c’était à cela que servait mon travail. Jamais je n’aurais pu travailler sur l’enzyme P450 ou un truc du genre, d’abord parce que je n’aurais pas pu voir rapidement l’utilité de mes recherches pour la population, ensuite parce que je me serais ennuyée au bout de cinq minutes et quart. »
Or, s’il y a une chose que la chercheuse ne supporte pas, c’est bien l’ennui. Sa propension à s’embêter vite a d’ailleurs joué un rôle majeur dans son parcours académique et professionnel. Après avoir découvert sa vocation grâce à un professeur du Cégep de Saint-Jérôme, la native de Sainte-Agathe-des-Monts effectue un baccalauréat en psychologie et une maîtrise en neuropsychologie à l’Université de Montréal. C’est alors qu’elle sent la lassitude poindre pour la première fois. « J’aimais bien la psychologie, mais j’avais l’impression d’avoir fait le tour et je voulais vraiment savoir comment le cerveau fonctionne, se rappelle Sonia Lupien. J’ai donc décidé de faire un doctorat en neurosciences. Ce n’était pas un cheminement habituel pour quelqu’un ayant étudié en psycho. Disons que j’ai travaillé fort, mais j’ai appris plein de choses. »
Après des études postdoctorales à l’University of California à San Diego et à la Rockefeller University à New York, elle se joint en 1996 à une équipe de l’Institut Douglas qui analyse les hormones du stress chez les personnes âgées. « Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, il y avait très peu de recherches concernant les effets du stress sur la cognition, indique la titulaire de la Chaire en santé mentale des hommes et des femmes des Instituts canadiens de la santé des hommes et des femmes. Mais avec mon bagage en neuropsychologie, je n’ai eu aucune difficulté à mettre sur pied des expériences et des évaluations pour mesurer l’impact du stress sur la mémoire, l’attention et d’autres fonctions cognitives. Aujourd’hui, cette approche est courante, mais à l’époque, c’était très innovateur. »
La vie de chercheur, c’est très solitaire et, à un certain moment, j’en ai eu assez de travailler seule dans mon coin, j’ai eu envie de partager mon savoir avec le public.
Malgré ses découvertes, Sonia Lupien finit toutefois par s’ennuyer de nouveau. « La vie de chercheur, c’est très solitaire et, à un certain moment, j’en ai eu assez de travailler seule dans mon coin, résume-t-elle. J’ai eu envie de partager mon savoir avec le public, d’autant plus que je sentais clairement un intérêt de sa part pour le stress. C’est pour ça que j’ai créé le CESH. » Lancé en 2004, le CESH a suivi sa fondatrice lorsqu’elle a été recrutée par l’IUSMM en 2008 et s’est révélé non seulement un formidable outil de transfert des connaissances, mais aussi une source d’inspiration importante pour la recherche. « C’est la fenêtre de mon laboratoire vers la population, explique celle qui enseigne au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Et l’échange avec les gens est bidirectionnel. Ils m’apportent autant sinon plus que ce que je peux leur donner. »
L’étude baptisée « Silent Victims » est un excellent exemple de cette collaboration entre la chercheuse et le public. À l’origine de cette recherche se trouve le témoignage d’une dame qui a approché Sonia Lupien à la fin de l’une de ses conférences sur le stress pour lui parler de l’impact de la dépression de son conjoint sur leurs deux enfants. « Elle a conclu en disant que les préjugés liés à la maladie dont souffrait son mari allaient les tuer avant la maladie elle-même, se souvient Mme Lupien. Je suis revenue au labo et j’ai eu l’idée de comparer les effets du stress au sein de trois groupes de familles. Dans le premier, l’un des parents est atteint de dépression. Dans le deuxième, l’un des parents a le cancer. Enfin, dans le troisième, les deux parents vont bien, mais se disent stressés. Mon équipe et moi devrions pouvoir analyser les résultats sous peu et, franchement, j’ai une petite idée sur les conclusions que nous allons tirer. »
C’est là l’un des nombreux projets que mène l’infatigable chercheuse, à qui l’on doit notamment Dé-Stresse et Progresse, un programme visant à aider les jeunes à faire la transition entre primaire et secondaire en évitant les écueils du stress et de la dépression. Quand on l’interroge sur ses propres moyens pour relaxer, Sonia Lupien parle d’abord de ses activités avec ses deux adolescents puis de ses promenades quotidiennes avec son chien, son moment de réflexion par excellence. « Mais quand je veux vraiment ne penser à rien, je travaille le métal, confie-t-elle. Je peux passer des heures à limer le même morceau. D’ailleurs, c’est le seul moment dans la vie où je fais preuve d’une patience infinie. »
Mai 2014
Rédaction : Annik Chainey