Trop de stress, la santé flanche

Pour gérer son stress dans un bouchon de circulation, Sonia Lupien chante à tue-tête dans sa voiture. «En faisant travailler nos cordes vocales, on favorise la respiration abdominale et on permet à notre corps d’évacuer l’énergie emmagasinée. L’important est que le stress ne s’accumule pas», indique la professeure du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal, aussi directrice scientifique du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM) et directrice du Centre d’études sur le stress humain.

Le stress, elle connaît. Experte reconnue de ce mal du siècle (un phénomène qui touche plus de 500 000 travailleurs chaque semaine au pays), la chercheuse a démontré que le stress peut avoir des répercussions négatives sur les individus de tous âges, jeunes ou vieux. Par exemple, en 1998, elle découvrait un lien entre des taux élevés d’hormones du stress (dont le cortisol) chez les adultes âgés, la perte de mémoire et une réduction du volume de l’hippocampe. D’après ses observations, cette structure du cerveau jouerait un rôle dans la réponse de stress et pourrait expliquer certains des troubles de mémoire chez les aînés. Une percée scientifique majeure publiée dans Nature Neurosciences qui a eu des retombées mondiales.

À l’autre extrémité du développement humain, les enfants sont également vulnérables aux effets du stress. «Certains sécrètent des taux élevés d’hormones du stress dès l’âge de six ans!» dit-elle. Ses études auprès des jeunes adultes ont mis au jour les effets aigus et chroniques des hormones du stress sur la mémoire et la maîtrise des émotions.

L’importance et la qualité de ses travaux lui ont valu en 2003 de figurer parmi les 40 Canadiens de moins de 40 ans les plus performants du Canada. Cette nomination s’ajoute au prix Heinz Lehmann que lui avait décerné l’année précédente l’Association des psychiatres du Québec.

Depuis, grâce à d’importantes subventions qui lui ont été accordées, la titulaire de la Chaire sur la santé mentale des femmes et des hommes des Instituts de recherche en santé du Canada a pu aménager de vastes locaux de recherche à l’IUSMM, où une dizaine d’étudiants à la maîtrise, au doctorat et au postdoctorat mènent des expériences poussées auprès de sujets de recherche. Ces derniers sont-ils soumis à des facteurs stressants? Oui, répond la spécialiste et mère de deux adolescents. Mais inutile d’insister, elle ne dira rien de plus sur le protocole de recherche, approuvé par un comité d’éthique. «Si je vous dis comment se déroulent les expériences, il n’y aura plus d’effet de surprise!»

Dans son ouvrage Par amour du stress (Les Éditions au Carré, 2010), vendu à ce jour à plus de 12 000 exemplaires, Mme Lupien présente quatre caractéristiques qui vont déclencher une réponse de stress, peu importe l’âge et la profession de la personne. «La situation doit être nouvelle, imprévisible, vous devez avoir l’impression de ne pas la contrôler et votre égo doit se sentir menacé.» L’auteure précise que le stress n’est pas une maladie. «Il est essentiel à la survie humaine, écrit-elle. Par contre, s’il vous affecte de façon chronique, cela peut entraîner de graves séquelles.»

Limer le métal et trimer dur

La belle blonde aux yeux noisette, qui a un horaire aussi chargé que celui d’un ministre, semble en possession de ses moyens, voire détendue. Questionnée sur ses recherches, elle est intarissable. «Je m’étonne moi-même d’être encore aussi enthousiaste», avoue-t-elle.
Triple diplômée de l’Université de Montréal (baccalauréat en psychologie en 1987, maîtrise en neuropsychologie en 1989 et doctorat en sciences neurologiques en 1993), Mme Lupien n’a pas que la recherche comme passion. Lorsqu’elle veut se détendre et ne penser à rien, elle travaille le métal pour en faire des bijoux. «Je peux limer le même morceau pendant des heures», raconte-t-elle en montrant un peu gênée ses œuvres, deux magnifiques bagues en argent.

Dans le cadre de ses nouveaux projets de recherche, Sonia Lupien s’intéresse aux influences du sexe (signature biologique d’un individu) et du genre (aspects socioculturels de l’identification d’un individu à un sexe ou à un autre) quant à la réactivité au stress et la maîtrise des émotions. «Au fil du temps, les chercheurs ont introduit les notions de sexe et de genre dans leurs travaux afin de mieux comprendre les interactions entre le cerveau et les hormones pouvant conduire à l’apparition de maladies mentales», explique la neuropsychologue.

Les chercheurs du Centre d’études sur le stress humain ont entre autres constaté que les gais, lesbiennes et bisexuels qui affichent ouvertement leur orientation sexuelle démontrent un niveau d’hormones du stress moins élevé, ainsi que moins de symptômes d’anxiété, de dépression et d’épuisement professionnel. «Les études liées à la maladie mentale ont majoritairement été effectuées auprès d’hommes; mon équipe et moi travaillons à combler cette lacune en nous penchant sur les différences sociales et biologiques entre les deux sexes. Et il y en a. Nos recherches ont déjà révélé que juste lire les mauvaises nouvelles dans le journal augmente la réactivité au stress chez les femmes mais pas chez les hommes!»
Dominique Nancy

CESH et Bob Marley

C’est en promenant son caniche nommé Bob Marley que Sonia Lupien décide de créer, en 2004, le Centre d’études sur le stress humain, qu’elle dirige encore à ce jour. «Notre mission est d’éduquer le public sur les effets du stress sur le cerveau et le corps en utilisant des données validées scientifiquement. Au fil des ans, c’est devenu un formidable outil de transfert des connaissances et une source d’inspiration importante pour la recherche», souligne la chercheuse.

On lui doit aussi Dé-Stresse et Progresse, un programme visant à donner des moyens aux enfants de faire la transition entre l’école primaire et l’école secondaire, une période au cours de laquelle les jeunes sont particulièrement vulnérables (voir Forum du 20 septembre 2009). Son équipe travaille présentement à adapter le programme pour les adultes en milieu de travail.

Sonia Lupien a également collaboré étroitement à l’élaboration d’applications mobiles (Ismart Application et Réadapp Application) pour faciliter la réduction et la gestion du stress chez diverses clientèles. Un autre exemple des retombées de ses travaux est le projet de la Fondation Mira, qui a décidé en 2013 de doubler le nombre de chiens d’assistance fournis à des familles avec des enfants autistes. À l’origine, une étude du défunt neuropsychologue Robert Viau réalisée en collaboration avec Sonia Lupien qui démontrait l’influence positive de l’animal sur les jeunes et leurs proches.

Source: www.nouvelles.umontreal.ca

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