Les Chroniques Exlibris – L’étonnante collection du Dr Jean-Guy Provost

Il y a quelques années, la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales s’est vu offrir une modeste collection de livres de médecine composée d’une cinquantaine de titres publiés entre le XVIIe et le XXe siècle. Fait intéressant, cette collection conservée par le Dr Jean-Guy Provost (1919-1990) s’était transmise au Québec sur trois générations de Provost, tous médecins de père en fils! Elle remontait donc au XIXe siècle et qui sait si elle n’était pas plus ancienne? Comme, de surcroît, presque tous les titres de cet ensemble étaient absents de nos collections de médecine, pourtant très riches, son acquisition devenait incontournable. Nous étions cependant loin de nous douter à quel point cette collection allait s’avérer étonnante de surprises! En effet, ce n’est que lors de la réception des livres et de leur examen attentif que toute l’importance de ce don s’est révélée à nous.

D’ex-libris en ex-libris

Nous avons d’abord remarqué que ce petit corpus de livres anciens était remarquablement riche en marques de provenance de toutes sortes. Les livres portaient ainsi des annotations manuscrites et les pages de garde arboraient souvent des exercices de calcul et d’écriture, de petits dessins, des commentaires, des promesses de récompense à qui trouverait le livre s’il s’avérait perdu, des recettes pour se soigner, etc. Mais ce qui a immédiatement attiré notre attention, c’est que plusieurs des livres du XVIIIe siècle portaient un ex-libris manuscrit, c’est-à-dire la signature du propriétaire du livre, avec quelquefois la mention de profession : chirurgien.

Par chance, l’étude historique du Dr Marcel Rheault, qui avait dressé la biographie des chirurgiens ayant œuvré au Québec entre 1642 et 1760, nous est alors revenue à l’esprit. Avec cette étude en main nous avons tenté de repérer les noms qui se trouvaient dans nos livres. Nous en avons d’abord retrouvé un, puis deux, puis trois… Finalement, ce sont près de dix chirurgiens du XVIIIe siècle ayant travaillé dans la région de Montréal, principalement au temps de la Nouvelle-France et de la guerre de Sept Ans (1753-1760), qui ont alors été identifiés. C’était inespéré! Pour comprendre l’importance de cette découverte, il faut savoir qu’au temps de la Nouvelle-France les membres de la profession médicale ne possédaient souvent que de modestes bibliothèques de quelques dizaines de titres et que la plupart d’entre elles ne sont pas parvenues jusqu’à nous. Donc, de retrouver des livres ayant appartenu à un si grand nombre de chirurgiens dans une si petite collection était tout à fait exceptionnel et il n’y a pas, à notre connaissance, d’autre ensemble comparable au Québec.

De découvertes en découvertes

Ces livres porteurs d’ex-libris anciens présentaient plusieurs autres aspects des plus intéressants. Par exemple, dans un des livres portant l’ex-libris du chirurgien Jean-Raymond Vignau (1721-1758) se trouvait deux pages collées entre elles qui laissaient transparaître un texte manuscrit. Dans l’ouvrage précité du Dr Rheault, l’historien se demandait si ce Vignau avait été chirurgien major, c’est à dire chirurgien militaire. Eh bien, lorsque le restaurateur a procédé au décollement des pages, nous avons pu y lire ceci : « Ce livre appartient à Jean Vignau, chirurgien major… »! Qui plus est, la suite du texte nous donnait plusieurs informations supplémentaires très intéressantes au sujet de sa traversée vers la Nouvelle-France en 1749!

Dans un autre livre, nous avons découvert l’ex-libris de Timothy Sullivan, dit Silvain (c1696-1749). Arrivé au Canada en 1718, ce riche Irlandais d’origine obscure réussit à s’introduire dans la fine fleur de la noblesse canadienne-française en épousant Marie-Renée Gaultier de Varennes, sœur de l’explorateur Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye et mère de la future sainte Marguerite d’Youville! Se disant fils de médecin, et usant de sa nouvelle position sociale, on lui accorda le titre de médecin de Montréal en 1724. De tempérament colérique et vaniteux, il se fit beaucoup d’ennemis. Si certains le considéraient comme un bon médecin, ce n’était pas l’opinion de tous. Voyez ce que le gouverneur de Beauharnois et l’intendant Hocquart pensaient de lui :

Le Sir Silvain qui a obtenu ou pour mieux dire surpris un brevet de médecin à Montréal […] cet étranger est un fort mauvais médecin, en qui personne n’a de confiance […] c’est un charlatan que tous les gens sensés et autres ont abandonné.

Alors que nous savions que ce Silvain était originaire de Cork en Irlande, son ex-libris nous a donné plus d’information en précisant qu’il venait en fait de la paroisse de St. Finsbarry dans la baronnie de Muskerry! À sa mort, Silvain laissa sa bibliothèque à la vénérable sainte Marguerite d’Youville. Aussi n’est-il pas surprenant de découvrir dans ce livre l’ex-libris du fils de cette dame, Charles Dufrost d’Youville, avec la date de 1749. Avec cet ex-libris, nous avons une double confirmation que ce livre a bel et bien appartenu à ce médecin irlandais au parcours particulier!

Mentionnons enfin, comme dernier exemple, ce livre intitulé Les remèdes des maladies du corps humain ayant appartenu au chirurgien Joseph Boucher Denoix (1702-1774), petit-fils de Pierre Boucher, fondateur de Boucherville. Sur le contreplat intérieur, nous avons retrouvé cette note manuscrite des plus touchantes : « 1756. Le 6 septembre, du dimanche à venir au lundi, une heure et trois quarts après minuit, est mort mon fils Augustin Denoix à l’hôpital ». Même si la douleur de perdre un enfant est universelle et intemporelle, comment ce père affligé aurait-il pu se douter que plus de 250 ans plus tard nous lirions de nouveau sa note avec émotion?

Une sauvegarde exemplaire

Bibliothèque originale du Dr Jean-Guy Provost
Bibliothèque originale du Dr Jean-Guy Provost.

Si cette bibliothèque est remarquable pour les raisons que nous venons de voir, elle l’est aussi parce qu’elle s’est transmise du XVIIe siècle jusqu’à nos jours, du chirurgien-barbier au chirurgien civil ou militaire du XVIIIe siècle, en passant par le médecin de campagne canadien-français du XIXe siècle, jusqu’au spécialiste d’aujourd’hui incarné par le Dr Jean-Guy Provost lui-même. Elle témoigne aussi de l’évolution de la pratique médicale à travers le temps avec des sujets comme l’art de la chirurgie, les remèdes en tout genre, le traitement des maladies vénériennes ou l’usage de la saignée. Enfin, il s’agit d’un bel exemple de sauvegarde d’un patrimoine documentaire québécois par des particuliers. Sans la sensibilité de la famille Provost qui en a préservé l’héritage, cette bibliothèque aurait pu disparaitre. En l’offrant généreusement à l’Université de Montréal pour en assurer la pérennité et l’accessibilité, ce bien familial est ainsi devenu une véritable richesse collective.

En mars, ne manquez pas la prochaine chronique alors que nous remontrons aux origines de la médecine avec Hippocrate et Galien dans la collection du Dr Léo Pariseau.

Rédaction : Normand Trudel, bibliothécaire patrimonial
Photos : Julie Martel

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