Les Chroniques Exlibris : 140 ans d’histoire de la médecine au Québec

Comme nous l’avons vu à travers cette série de chroniques, l’Université de Montréal a accueilli au fil du temps plusieurs bibliothèques de médecine comme celles des Drs Léo Pariseau, Éloi-Philippe Chagnon, Gabriel Nadeau ou encore Jean-Guy Provost. Si ces collections font aujourd’hui la fierté de la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, il faut savoir qu’elles ne constituent qu’une partie d’un exceptionnel fonds documentaire en médecine qui remonte aux origines de notre institution et qui en constitue son héritage.

De l’École de médecine et de chirurgie de Montréal à nos jours

Dès la fondation de l’Université de Montréal en 1878, une première Faculté de médecine voit le jour avec l’espoir de fusionner avec l’École de médecine et de chirurgie de Montréal qui existe depuis 1843. Si l’on doit attendre 1890 pour que le mariage entre les deux soit consommé, la Faculté n’attend pas ce moment pour prendre son envol.

Cours d’opération de chirurgie par M. Dionis. Paris, 1773. Ex-dono du Dr J. B. Desrosiers à la Faculté de médecine de l’Université Laval de Montréal. Fin 19e siècle.

Ainsi, en 1886, le recteur annonce avec fierté que la bibliothèque de médecine compte déjà plus de 500 volumes et qu’elle s’enrichit chaque jour grâce à la générosité de la communauté universitaire. C’est que plusieurs étudiants et professeurs, tels que le Dr Emmanuel-Persillier Lachapelle, doyen de la Faculté de médecine de 1908 à 1918, en profitent pour faire don d’un ou plusieurs titres à la bibliothèque de leur alma mater –   une pratique qui ne s’est d’ailleurs jamais démentie jusqu’à nos jours, comme vous pourrez le constater.

Si dans les premiers temps la Faculté de médecine possède sa propre bibliothèque, celle-ci sera éventuellement intégrée à la bibliothèque centrale de l’Université. Ce n’est qu’au milieu des années 60 que la Faculté retrouve sa propre bibliothèque médicale, qui devient en 1975 l’actuelle Bibliothèque de la santé avec le regroupement des collections des facultés de médecine, de médecine dentaire et de pharmacie. Avec le temps, les parties les plus anciennes des collections de cette bibliothèque ont été progressivement transférées à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales (BLRCS), qui en assure aujourd’hui la préservation et la diffusion.

Nous réclamons l’indépendance administrative complète de la Bibliothèque médicale et l’obtention des espaces nécessaires à son expansion inévitable

– Conseil de la Faculté de médecine, 1965

Tampons institutionnels de la Faculté de médecine de l’Université Laval de Montréal, de l’École de médecine et de chirurgie de Montréal et de la Bibliothèque médicale de l’Université Laval de Montréal. Fin 19e, début 20e siècle.

Ces anciens ouvrages sont intéressants à plusieurs égards, car ils témoignent de l’histoire et du développement de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Si les sujets abordés permettent de suivre l’évolution de la pratique médicale au Québec, les marques de provenance nous renseignent, elles, sur le développement des bibliothèques médicales de l’Université. De nombreux livres arborent ainsi des ex-libris ou ex-dono de particuliers ayant offert leurs livres à leur alma mater au cours des années. On y aperçoit également des tampons institutionnels, dont celui de l’École de médecine et de chirurgie de Montréal, que l’on retrouve plus tard combiné à celui de la Faculté de médecine de l’Université Laval à Montréal lors de la fusion de ces deux entités en 1890. Il y a aussi les tampons des diverses bibliothèques telles la Bibliothèque médicale de l’Université Laval à Montréal de la fin du 19siècle, ou encore la Bibliothèque médicale de l’Université de Montréal des années 60. Enfin, comme nombre de ces ouvrages sont d’origine européenne, il n’est pas rare non plus d’y retrouver des ex-libris de l’ancien continent datant des 17e, 18e et 19e siècles.

Des collections toujours enrichies

Le fonds documentaire en médecine conservé à la BLRCS est donc constitué d’un large éventail d’ouvrages acquis sur 140 ans d’histoire institutionnelle par l’entremise d’achats, de dons et de legs. Du titre seul aux ensembles de quelques dizaines à quelques centaines de pièces, tous ces livres ont contribué à l’enrichissement de cette collection unique.

Dr Roma Amyot (1899-1987)Parmi les ensembles qu’il nous faut encore mentionner, soulignons l’acquisition en 1988 de la bibliothèque du Dr Roma Amyot (1899-1987), figure majeure de la naissance de la neurologie au Québec et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Ou encore, entre 2004 et 2006, la donation du professeur Othmar Keel, spécialiste en histoire de la médecine, qui laisse des ouvrages de médecine et une collection de manuscrits et de tapuscrits – dont des registres ambulanciers – relatifs aux activités de l’Hôpital Notre-Dame entre 1880 et 1930. Toujours en 2006, les collections s’enrichissent de la bibliothèque du Dr Paul Dumas (1910-2005), qui comprend plusieurs centaines de titres en médecine, mais aussi en histoire de l’art et en littérature. Professeur agrégé à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, le Dr Dumas a œuvré auprès des malades de l’Hôtel-Dieu de Montréal et de Saint-Jean-de-Dieu pendant plus de cinquante ans. En tant que membre du comité des Amis de la Bibliothèque Léo-Pariseau, il a aussi contribué directement à la réunion des fonds nécessaires à l’acquisition de cette exceptionnelle bibliothèque de médecine pour l’Université de Montréal. Tout récemment, le don d’une partie de la riche bibliothèque du Dr David N. Weisstub, titulaire retraité de la Chaire de psychiatrie légale et d’éthique biomédicale Philippe-Pinel de l’Université de Montréal, a ajouté à notre collection plusieurs titres anciens d’intérêt en médecine du 16e au 19e siècle. Puis, il y a à peine quelques mois, nous recevions la bibliothèque historique des premiers psychiatres de l’Institut Albert-Prévost, composée de plus de deux cents titres de psychiatrie et de psychologie. Ces livres, ayant appartenu au Dr Albert Prévost (1881-1926), fondateur de l’institution, à son maître le Dr Georges Villeneuve – que nous avons découvert dans la chronique précédente – ainsi qu’à leur successeur, le Dr Edgard Langlois, ont été transférés à l’Université de Montréal grâce au chercheur Alexandre Klein, qui relate ses démarches dans un article mettant en exergue l’importance de sauvegarder le patrimoine documentaire québécois.

Un matin de juin 2018, j’apportais, dans une voiture que j’avais finalement dû louer à mes frais, des caisses de livres pour les apporter à l’Université de Montréal. la bibliothèque avait, avec beaucoup d’enthousiasme, accepté d’accueillir et de conserver dans son ensemble la collection Langlois.

– Alexandre Klein

Duchenne de Boulogne. Mécanisme de la physionomie humaine, ou, Analyse électro-physiologique de l'expression des passions. Paris, 1862. Détail.Il faut aussi signaler la collection Historia, en provenance de la Bibliothèque de la santé, qui comprend des centaines d’ouvrages anciens tirés en partie des facultés de pharmacie et de médecine dentaire avec des classiques tels que Le chirurgien dentiste, ou Traité des dents de Pierre Fauchard, édition 1746, ou encore The Natural History of the Human Teeth de John Hunter, édition 1778.

Enfin, à ce noyau patrimonial issu des différentes bibliothèques médicales de l’Université de Montréal et des diverses collections de médecine subséquentes offertes à la BLRCS, il faut ajouter tous les titres de médecine qui se retrouvent dans plusieurs collections dont le thème principal n’est pas la médecine. Ainsi, pour n’en nommer que deux, la Collection Étienne-Bartin, plutôt littéraire et historique, comprend une édition originale du Mécanisme de la physionomie humaine, ou Analyse électro-physiologique de l’expression des passions applicable à la pratique des arts plastiques publiée par le grand neurologue du 19siècle Duchenne de Boulogne et dédicacée par lui-même à l’un de ses amis. Cet ouvrage innovateur comprend les célèbres photographies expérimentales montrant les effets de l’électricité sur les muscles responsables des expressions faciales. La Collection Marie-Victorin de l’Institut botanique comprend, quant à elle, un superbe exemplaire des plantes médicinales du médecin et pharmacologue grec Dioscoride, adapté à la Renaissance par le médecin vénitien Matthiole.

Cette collection de médecine, assemblée sur près d’un siècle et demi d’histoire institutionnelle, et qui renferme une multitude de trésors restant à découvrir et à exploiter, est – il faut le rappeler – à l’entière disposition de notre communauté universitaire.

En décembre, cette série de chroniques se terminera sur une note légère en montrant, en images, l’évolution de la publicité médicale à travers le temps au Québec.

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Rédaction : Normand Trudel, bibliothécaire patrimonial
Photos : Julie Martel

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