Être éthicienne au temps de la COVID-19

Fondatrice du Centre d’éthique du CISSS de Laval, service précurseur en termes de développement de l’éthique en établissement de santé au Québec, Marie-Ève Bouthillier connait mieux que quiconque les questions éthiques liées au milieu de la santé.

Également chercheuse et membre exécutif du Bureau de l’éthique clinique de la Faculté de médecine, madame Bouthillier se dédie à la résolution de questions éthiques issues de situations humaines complexes, au soutien de proximité des intervenants du réseau de la santé, à la médiation entre les familles et les équipes soignantes et à l’apaisement de la détresse morale des cliniciens.

La pandémie actuelle engendre son lot de questionnements éthiques : confinement obligatoire des aînés, suspension de certaines chirurgies, accès limité aux lits de soins intensifs, etc.

Plus que jamais, l’expertise de madame Bouthillier est précieuse. Précieuse, mais également sollicitée, puisqu’elle a été mandatée par le ministère de la Santé et des Services sociaux pour décortiquer les aspects éthiques de la pandémie de COVID-19.

Incursion dans le casse-tête tridimensionnel dans lequel est plongée notre experte.

Un changement radical de paradigme

« Une pandémie amène une exacerbation des questions éthiques normales. D’une part, tout est amplifié, mais d’une autre part, les logiques pour réfléchir à ces questions changent de façon radicale », affirme celle qui est également professeure adjointe de clinique au Département de médecine de famille et médecine d’urgence.

L’éthicienne explique qu’habituellement, la liberté individuelle est valorisée alors qu’en temps de pandémie, c’est le bien commun qui prime. « Normalement, nous soignons les personnes les plus malades et sommes extrêmement conciliants avec celles qui ne suivent pas les consignes en lien avec leurs soins individuels. Actuellement, nous essayons plutôt de soigner en priorité ceux qui ont la plus grande capacité de s’en sortir, en plus d’être beaucoup plus coercitifs dans les consignes. C’est ce qu’on appelle la “maximisation des bénéfices”. »

Cette logique s’applique également à l’allocation des ressources. Comme il y a des craintes de pénurie de ressources matérielles et de manque de personnel, la priorité ne va plus à ceux qui sont les plus malades, mais plutôt à ceux qui ont davantage de chance d’en bénéficier à court terme.

Marie-Ève Bouthillier invite toutefois à la prudence et ajoute une nuance importante : cette maximisation des bénéfices ne saurait exister sans une bonne dose d’équité et de transparence. « Pensée en silo, la maximisation des bénéfices voudrait dire des patients sacrifiés, ce qui n’est pas le cas. Il faut donc avoir un équilibre avec l’équité et donner les chances à tout le monde, en plus de ne pas être opaque, ce qui porterait atteinte à la légitimité de la réflexion. »

Un processus consultatif

Madame Bouthillier renchérit que la résolution de ces questions déchirantes ne pourrait se réaliser sans la collaboration de plusieurs acteurs importants dans le milieu de la santé, notamment des experts de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESS), de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et du Collège des médecins du Québec (CMQ).

Mais aussi, et surtout, des patients.

Depuis le début du processus, Marie-Ève Bouthillier fait équipe avec la Direction collaboration et partenariat patient (DCPP) et son codirecteur Vincent Dumez, afin de faire valoir le point de vue des patients. À ce chapitre, l’expertise de monsieur Dumez permet d’impliquer des patients concernés par les questions étudiées et possédant une expérience pertinente.

« Il serait impensable de réfléchir à des questions éthiques sans essayer de couvrir tous les angles. »

Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux

Articles reliés