Une anomalie génétique, un cœur à risque… et deux enfants. En unissant leurs efforts, le CHU Sainte-Justine et l’Institut de cardiologie de Montréal ont permis à Adeline Martin de réaliser son rêve.
Il y a 30 ans, Adeline Martin n’aurait jamais pu devenir mère. Née avec le syndrome de Turner, une anomalie génétique rare qui entraîne l’absence d’ovaires et une fragilité cardiaque, elle savait depuis petite que la maternité serait un défi. «Je ne me suis jamais trop projetée. Pour moi, être enceinte, c’était un beau rêve inaccessible», confie-t-elle.
Et pourtant, la voilà maman de Tiago, 4 ans, et de bébé Léonore, trois mois. Un petit miracle rendu possible par une chorégraphie médicale réglée comme du papier à musique, entre le CHU Sainte-Justine (CHUSJ) et l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM), qui célèbrent 30 ans de travail commun au service des femmes enceintes atteintes de cardiopathies.
Une pratique pionnière née d’un coup de coeur

Cette clinique de prise en charge des patientes enceintes au cœur fragile, fondée en 1995, est l’initiative de la Dre Line Leduc, professeure titulaire au Département d’obstétrique-gynécologie de la Faculté de médecine de l’UdeM.
Tout a commencé au début des années 1990. La jeune clinicienne revenait alors d’une formation complémentaire en grossesse à risque au Texas. «C’était un grand centre qui prenait en charge de nombreuses femmes enceintes atteintes de troubles cardiaques. J’ai eu un véritable coup de cœur pour cette clientèle», raconte celle qui a toujours nourri une passion pour l’obstétrique et la cardiologie.
Tout juste arrivée à l’Hôpital Sainte-Justine, la Dre Leduc rencontre sa première patiente, une femme enceinte de quatre mois, atteinte d’une sténose mitrale. L’équipe médicale recommande une interruption de grossesse. La Dre Leduc s’y oppose. Selon elle, la dame peut être suivie de près jusqu’à l’accouchement, puis subir un remplacement valvulaire. Sa proposition est retenue.
Cette petite victoire marque le début d’une grande aventure. Peu à peu, toutes les patientes enceintes présentant une cardiopathie lui sont référées. Une collaboration se tisse ainsi avec l’Institut de cardiologie de Montréal. «On a commencé à travailler ensemble de façon plus structurée, jusqu’à l’ouverture officielle d’une clinique de suivi CHUSJ-ICM pour les femmes enceintes avec un problème cardiaque», relate-t-elle.
Au fil des ans, cette unité est devenue la plus grande clinique du genre au Québec, portée par l’expertise d’une équipe multidisciplinaire en médecine fœto-maternelle, en médecine interne obstétricale, en cardiologie et en anesthésie obstétricale.

Un parcours semé d’embûches et d’espoir

Assise à son bureau du CHU Sainte-Justine, en présence d’Adeline et de sa petite merveille, l’obstétricienne-gynécologue revisite chaque étape du chemin qui a mené sa patiente à la maternité. «Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, la situation était critique. Le diamètre de son aorte était trop dilaté pour permettre une grossesse.» Une intervention cardiaque s’imposait, et vite. « J’ai fondu en larmes, enchaîne Adeline. J’avais l’impression que tout s’écroulait, juste au moment où on commençait à y croire!»
L’équipe de l’ICM prend rapidement le relais. La portion fragile de l’aorte est remplacée. Un an plus tard, par le biais de la procréation assistée avec don d’ovule, Adeline peut entamer sa première grossesse. Puis une deuxième. «C’est la science médicale qui nous a permis d’avoir deux bébés», résume la Dre Leduc, visiblement heureuse pour sa protégée.
Une médecine réglée au quart de tour
Le succès repose sur une prise en charge parfaitement coordonnée entre les équipes de l’ICM et du CHU Sainte-Justine. «Il faut évaluer l’effet de la cardiopathie sur la grossesse ‒ c’est mon rôle ‒ et l’impact de la grossesse sur la condition cardiaque ‒ un aspect pris en charge par le cardiologue ou par l’équipe de médecine obstétricale», explique la Dre Leduc. Ainsi, chaque échographie cardiaque est suivie d’un rendez-vous obstétrical. En cas d’urgence, les communications sont immédiates. «L’équipe de l’ICM m’appelle directement sur ma ligne», précise-t-elle.
Ce suivi rigoureux porte ses fruits. Depuis 30 ans, près de 1000 patientes ont été prises en charge. Pour la seule période d’avril 2024 à mars 2025, 170 femmes enceintes atteintes de cardiopathie ont accouché à Sainte-Justine. La majorité présentait des conditions cardiaques congénitales, héréditaires ou acquises.
Avec le temps, cette expertise a permis de structurer la pratique. Des protocoles ont été élaborés pour encadrer la prise en charge des cas complexes ‒ aortopathies, valves mécaniques sous anticoagulants, cardiopathies héréditaires. La clinique contribue aussi à l’avancement des connaissances, avec près de 20 publications scientifiques.
Et ce modèle interdisciplinaire bénéficie aussi à la relève. Les résidentes et résidents en obstétrique ainsi que les fellows en médecine fœto-maternelle de la Faculté de médecine de l’UdeM sont formés au sein de cette clinique spécialisée. «Ils sont exposés à des grossesses à risque et apprennent les subtilités de la médecine obstétricale chez les femmes atteintes de cardiopathie. C’est une médecine à part», souligne la Dre Leduc.
Comme un pied de nez au destin
Aujourd’hui, la Dre Leduc peut dire : mission accomplie! Et Adeline peut poursuivre son suivi cardiaque à l’ICM. Pour elle, cet accompagnement a changé sa vie. «J’ai eu une chance incroyable. C’était un suivi super humain, chaleureux. Un vrai défi lancé au destin! Ça prouve qu’il faut toujours garder espoir», dit-elle avec reconnaissance.
C’est justement le message que souhaite transmettre la Dre Leduc. «Il faut dire aux femmes qu’une grossesse est souvent possible, même avec une maladie cardiaque, à condition d’être bien entourées. Il y aura toujours un petit pourcentage de cas trop risqués, mais pour beaucoup, il y a de l’espoir!»
Elle se prépare maintenant à passer le flambeau à de nouvelles recrues ‒ l’une déjà en place dans l’équipe, l’autre actuellement en formation à Melbourne et qui se joindra à la clinique en 2026. Parallèlement, elle veille à préserver un espace pour le suivi des femmes ménopausées atteintes de cardiopathie. «Ce sont nos premières générations de survivantes adultes. On apprend beaucoup d’elles, et on devient meilleurs grâce à elles!»