Évolution dans notre compréhension des facteurs potentiellement à l’origine de l’autisme

Menée par Laurent Mottron, chercheur agrégé à au Département de psychiatrie à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, une analyse rétrospective des travaux  de génétique, d’imagerie cérébrale et de la cognition de l’autisme transforme notre compréhension des facteurs potentiellement à l’origine de l’autisme, de son développement et de ses diverses manifestations. L’équipe de chercheurs chevronnés a élaboré un modèle dit déclencheur- seuil – cible dans lequel l’autisme résulte d’une réaction du cerveau à un facteur génétique selon les principes de la plasticité cérébrale, la capacité du cerveau à s’adapter et se remodeler. L’élément déclencheur consisterait en une mutation génétique (il en existerait des centaines différentes) qui, combinée à un seuil de plasticité cérébrale génétiquement abaissé, déclencherait une réaction plastique ciblant certaines fonctions, essentiellement non-sociales. Selon la combinaison de ces trois facteurs déclencheur, seuil et cible, on observerait  de l’autisme ou de la déficience intellectuelle avec ou sans autisme. Le modèle confirme qu’une personne autiste présente des facultés de traitement accrues pour certains types d’information, qui sont le résultat de processus de plasticité chez ces personnes, l’amenant à privilégier le contenu qui l’intéresse au détriment de toute autre donnée. «Notre modèle aura notamment pour effet d’axer les interventions en bas âge sur le développement des forces cognitives particulières de l’enfant, plutôt que de se concentrer uniquement sur les comportements manquants, pratique qui pourrait bien lui faire manquer une occasion unique dans sa vie», soutient M. Mottron.

Le chercheur et ses collègues ont mis au point ce modèle en observant les effets des quelques mutations dont la responsabilité dans l’autisme est démontrée  ainsi que l’activité cérébrale de personnes autistes pendant qu’elles réalisaient des tâches, surtout perceptives. ‘’En greffant les mutations associées à l’autisme chez des animaux, les généticiens ont constaté que la majorité de celles-ci augmentait la plasticité des synapses, soit la capacité des cellules cérébrales de créer des connexions, normales ou anormales quand elles reçoivent une nouvelle information. En parallèle, notre équipe et d’autres chercheurs ont observé que l’autisme représente un modification de l’équilibre entre le traitement d’information à caractère social et non social – intérêt, performance et activité cérébrale – en faveur de l’information non sociale. Le modèle met en relation ces observations génétiques et cognitives en s’appuyant sur les effets neurocognitifs de la privation sensorielle, surdité ou cécité» explique M. Mottron

Les diverses supériorités affichées par les sous-groupes du spectre autistique dans les domaines du langage et de la perception présentent en effet des ressemblances frappantes avec celui des personnes privées d’un sens depuis leur naissance. Par exemple, un enfant aveugle compense l’absence d’information visuelle en ciblant l’audition, qui devient supérieure, tandis qu’un enfant sourd cible la perception visuelle, et traite les images et les mouvements de façon plus complexe. Les études en cognition et en imagerie cérébrale révèlent que, pour leur part, les personnes autistes présentent dans les régions perceptives du cerveau une activité plus vive, des connexions plus nombreuses et des modifications structurales. Les différences concernant l’information « ciblée » par ces processus cérébraux expliqueraient les forces et faiblesses de chaque personne autiste. « Les troubles de la parole et la mésadaptation sociale de certains jeunes enfants autistes ne sont peut-être pas le résultat d’une dysfonction initiale des mécanismes cérébraux liés à ces fonctions, mais plutôt d’une négligence précoce, avance M. Mottron. Notre modèle suggère que la perception supérieure des personnes autistes est en compétition avec l’apprentissage du langage parce que les ressources neuronales sont dirigées vers la dimension perceptive du langage et non vers sa dimension de communication. En revanche, dans le sous-groupe autistique appelé syndrome d’Asperger, la parole est surdéveloppée. Dans les deux cas, la fonction surdéveloppée compétitionne avec les ressources cérébrales requise pour la socialisation, entraînant un retard de développement au niveau social. »

Le modèle propose des explications sur un des mystères de l’autisme, qui est que l’autisme peut être accompagné ou non de déficience intellectuelle. Cette dernière surviendrait lorsque les mutations causales produisent une réaction plastique altérée, soit des connexions neuronales qu’on ne retrouve pas chez les personnes non autistes. En revanche, si la réaction cérébrale plastique déclenchée est normale, seule la répartition des ressources cérébrales serait modifiée.

Pour l’enfant autiste comme pour les autres, l’environnement et influence le développement et l’organisation du cerveau. «La plupart des programmes d’intervention précoce adoptent une approche réparatrice en se centrant sur les intérêts sociaux. Cette stratégie pourrait monopoliser les ressources cérébrales sur un type d’information que l’enfant traite avec moins de facilité, explique M. Mottron. Nous croyons que l’intervention précoce auprès des enfants autistes devrait s’inspirer des méthodes utilisées chez les enfants ayant une cécité congénitale, dont les facultés linguistiques se trouvent grandement améliorées par l’exposition précoce au langage des signes. Les traitements devraient donc se consacrer à l’identification et l’exploitation des forces de l’enfant autiste, comme le langage écrit. » En montrant que les intérêts restreints autistiques résultent des processus de plasticité cérébrale, ce modèle suggère qu’ils ont bel et bien une valeur adaptative et devraient être au cœur des techniques d’intervention pour l’autisme.

À propos de cette étude

Laurent Mottron, M.D., Ph. D., et ses collègues Sylvie Belleville, Ph. D., Guy Rouleau, M.D., Ph. D., et Olivier Collignon, Ph. D, ont publié l’article « Linking Neocortical, Cognitive and Genetic Variability in Autism with Alterations of Brain Plasticity: the Trigger-Threshold-Target Model » dans la revue Neuroscience and Biobehavioural Reviews le 12 août 2014. Neuroscientifique en cognition s’intéressant à l’autisme, Laurent Mottron est chercheur à l’Hôpital Rivière-des-Prairies et au Centre d’excellence en troubles envahissants du développement de l’Université de Montréal (CETEDUM), qui relève du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM). Il est également professeur au Département de psychiatrie de l’Université. Sylvie Belleville est une neuroscientifique en cognition et imagerie cérébrale. Elle est directrice scientifique de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal affilié à l’Université de Montréal et professeure au Département de psychologie de l’Université. Guy Rouleau, neurologue et généticien, est le directeur scientifique de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal (Université McGill). Oliver Collignon dirige un groupe de recherche sur la plasticité cérébrale en lien avec la privation sensorielle au Center for Mind/Brain Sciences (CIMeC) affilié à l’Université de Trento, en Italie, où il est aussi professeur.

 

Cette étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada.

 

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William Raillant-Clark
Attaché de presse à l’international
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