Médecin, historien et écrivain, le Dr Gabriel Nadeau (1900-1979) reste une figure trop méconnue de l’histoire de la médecine au Québec. Diplômé de l’Université de Montréal en sciences sociales, puis en médecine en 1928, le Dr Nadeau débute son apprentissage comme interne à l’Hôtel-Dieu de Montréal sous l’égide du Dr Léo Pariseau. Partant ensuite travailler aux États-Unis, au Rutland Sanatorium de l’État du Massachusetts, il y fait souche et consacre dès lors toute sa carrière au soin de patients atteints de tuberculose, une maladie qu’il connait bien pour en avoir lui-même souffert. Bien qu’expatrié, le Dr Nadeau reste cependant profondément attaché à ses origines et il développe, parallèlement à son métier, une véritable passion pour la recherche historique en s’intéressant principalement à l’histoire de la médecine et au fait français en Amérique du Nord. Conférencier recherché et auteur prolifique, il publie pendant sa vie active de très nombreux articles à sujets médico-historiques dans une vingtaine de journaux et revues, tant au Canada qu’aux États-Unis, un roman ainsi qu’une biographie de son ami, le poète québécois Louis Dantin. En 1950, l’Université de Montréal lui décerne un doctorat honoris causa à titre de franco-américain des plus influents, un honneur qui est doublement confirmé par la Société historique franco-américaine qui lui accorde quelques années plus tard sa médaille Grand prix. En 1974, sa santé se faisant déclinante, le Dr Nadeau cède à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) un riche fonds documentaire et une imposante bibliothèque de près de 5 000 volumes, mais laisse à son alma mater la portion médecine de cette belle bibliothèque.
La Collection Gabriel-Nadeau
La Collection Gabriel-Nadeau de l’Université de Montréal est ainsi constituée de près de 400 titres de médecine qui forment un tout cohérent où se reflète l’ensemble des intérêts professionnels et personnels du Dr Nadeau. Composée essentiellement d’ouvrages des 19e et 20e siècles, elle compte aussi quelques titres du 18e siècle. Au premier chef, et sans surprise, la collection rassemble principalement des documents traitant de la tuberculose et, plus généralement, d’hygiène publique en relation avec les maladies infectieuses courantes de son époque. Le tout est accompagné de quelques titres sur les sanatoriums, principalement québécois. Un peu surprenant, la pharmacie et le métier d’apothicaire en France occupent une part importante de la bibliothèque. Si le Dr Nadeau était réputé s’intéresser à l’histoire de la médecine en Amérique, force est de constater que la médecine de la vieille France ne le laissait point indifférent. De nombreux titres traitent ainsi de divers aspects de la médecine tant à Paris qu’en province avec des ouvrages sur la pharmacie en Bourgogne, sur les apothicaires de Pont-à-Mousson, sur l’histoire des facultés de médecine de Paris ou bien de Toulouse, sur les chirurgiens-barbiers de Cambrai ou sur les médecins du Limousin! Autre aspect un peu inattendu, la bibliothèque comprend aussi passablement d’ouvrages sur des sujets comme la maternité, les sages-femmes, la contraception et la sexualité des femmes.
Cet homme, qui n’aime pas parler de lui et qui se dérobe avec adresse, sait par ailleurs admirablement parler des autres, et c’est en l’écoutant parler d’autrui qu’on le connait le mieux
– Hommage au Dr Gabriel Nadeau
Illustrant parfaitement sa passion pour la recherche sur l’histoire de la médecine au Canada et aux États-Unis, la collection comprend bien entendu de très nombreux titres sur le sujet. On y trouve des ouvrages sur les Hôtels-Dieu de Montréal et Québec, sur Marguerite d’Youville et les sœurs grises, sur les frères hospitaliers, sur Jeanne Mance, sur le médecin du roi Michel Sarrazin et, de manière générale, de nombreux documents sur l’histoire de la médecine au Québec. Le tout est accompagné de plusieurs titres en anglais sur l’histoire de la médecine américaine, plus spécifiquement en Nouvelle-Angleterre.
Deux titres singuliers
Dans cette collection plutôt homogène, deux documents ont attiré notre attention par leur singularité. Notons d’abord ce titre de 1939 intitulé « Il faut le mettre en prison ». Richement illustré de photographies d’époque, il relate le procès intenté contre le guérisseur Joseph-Anatole Desfossés accusé de fraude et d’exercice illégal de la médecine dans la région des Cantons-de-l’Est. Tellement populaire qu’il pouvait recevoir jusqu’à 400 clients par jour, Desfossés ne fait cependant pas que des heureux et les plaintes s’accumulent contre lui. En 1939, on lui intente donc un procès en utilisant un article du Code criminel du Canada qui interdisait de dire la bonne aventure et de pratiquer la sorcellerie! Contre toute attente, les lettres d’appui et les propositions pour venir témoigner en sa faveur affluent par centaine au grand désarroi de l’accusation. Il est finalement acquitté pour cause de parjure. Le procès ayant plutôt contribué à accroitre sa renommée, il pratique jusque dans les années 70, non sans avoir fréquenté les palais de justice de la province au moins une quarantaine de fois! Ce titre singulier au sein de la Collection Gabriel-Nadeau est aussi assez rare dans les bibliothèques du Canada.
J’étais paralysé du côté gauche. J’avais les doigts raides. Je suis âgé de 38 ans et je craignais beaucoup pour mon avenir. Je suis allé voir M. Desfossés et depuis ma paralysie est complètement disparue
– Foisy, juin 1939
L’autre titre étonnant est un ouvrage publié à Paris en 1772 intitulé « Statuts et réglemens généraux pour les maîtres en chirurgie des provinces du royaume ». Premier élément d’intérêt, il est habillé d’une belle reliure en parchemin de récupération qui se trouve à être un vieil acte notarié en français ancien que nous n’avons pas encore daté. Ensuite, il porte des annotations manuscrites qui nous apprennent qu’il a appartenu à un chirurgien français nommé Simon Étienne Hugues Morelot (1751-1829). Celui-ci a indiqué, dans une note sur la page titre, avoir reçu cet ouvrage lors de sa réception comme lieutenant du premier chirurgien du roi pour la région de Beaune en octobre 1783. En effet, à cette époque, le premier chirurgien du roi est représenté dans les diverses provinces de France par des lieutenants qui relèvent de son autorité. C’est Pichault de la Martinière qui est alors premier chirurgien du roi et les « Statuts et réglemens » lui sont d’ailleurs dédiés et portent ses armes. Enfin, ce qui rend ce document encore plus exceptionnel c’est qu’il contient plusieurs lettres et documents divers qui ont été reliés avec le texte principal. Une lettre nous apprend ainsi que Pichault de la Martinière vient tout juste de décéder après 36 années de loyaux services auprès des rois Louis XV et Louis XVI qui l’avaient grandement apprécié. Une autre lettre adressée à Morelot par le nouveau chirurgien du roi, Jean-Baptiste Antoine Andouillé, l’invite désormais à se rapporter à lui. Comme ce titre jure un peu avec le reste de la collection du Dr Nadeau, nous avons un instant douté qu’il puisse lui avoir appartenu. Cependant, nous avons retrouvé dans la collection un titre sur les ex-libris de médecin français où les armes de Pichault de la Martinière étaient bien en vue, confirmant du coup son appartenance à la collection du Dr Nadeau!
Lors de la prochaine chronique, nous explorerons la riche collection du Dr Éloi-Philippe Chagnon, spécialiste des maladies nerveuses.
En savoir plus
- Biographie du Dr Gabriel Nadeau
- Collection Nadeau, catalogue, BAnQ
- Dans le cabinet du guérisseur J.-A. Desfossés (audio), Radio-Canada
- Biographie du chirurgien du roi Pichault de la Martinière
Rédaction : Normand Trudel, bibliothécaire patrimonial
Photos : Julie Martel