Pandémie et itinérance : réconcilier deux réalités d’apparence incompatible

S’isoler à domicile, telle est la consigne qui prime en ce temps de pandémie. Mais comment s’y conformer lorsqu’un tel domicile est inexistant? Deux professeures adjointes de clinique au Département de médecine familiale et médecine d’urgence se sont posé la question et sont parvenues à une réponse plus qu’ingénieuse.

Les docteures Marie-Ève Goyer et Anne-Sophie Thommeret-Carrière œuvrent depuis toujours auprès des populations en situation d’itinérance, de marginalité et de vulnérabilité. Elles travaillent toutes deux au CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, plus précisément au CLSC des Faubourgs, reconnu comme l’un des plus vulnérables sur le territoire montréalais, voire au Québec, notamment en raison du faible niveau socio-économique.

Avec l’aide de gestionnaires et d’une équipe multidisciplinaire, elles ont pensé et mis sur place l’unité d’isolement de l’ancien hôpital Royal Victoria, un endroit pour les personnes itinérantes atteintes de la COVID-19 n’étant pas suffisamment malades pour nécessiter une hospitalisation, mais devant tout de même s’isoler. Une sorte de « soupape pour libérer les hôpitaux ».

Un lieu confortable, avant tout

Ouverte le 31 mars dernier, cette unité regroupe des infirmiers, des médecins de famille spécialisés en médecine des toxicomanies et des intervenants spécialisés en itinérance. Elle permet de répondre aux défis supplémentaires qu’engendre la pandémie pour les individus vivant dans des situations d’extrême pauvreté.

« L’organisation des services pour le coronavirus a été pensée en fonction de la population générale et non pas en fonction d’une population plus vulnérable, affirme la docteure Goyer. Pensons d’abord à l’isolement à domicile, mais aussi au dépistage au service au volant ou encore à la fermeture des banques alimentaires. La pandémie actuelle augmente la précarisation de ces populations, alors que certaines situations normalement tolérées sont maintenant illégales, comme dormir dans le métro ou se rassembler dans les parcs. »

Afin d’assurer la pertinence de l’initiative, les docteures Goyer et Thommeret-Carrière ont misé sur la création d’un domicile chaleureux qui se rapprocherait le plus d’une véritable maison : salon, nourriture, télévision, jeux de société, etc.

Les 13 usagers actuels bénéficient également de soutien psychosocial et de solutions pharmacologiques pour les aider dans le sevrage de plusieurs substances. « Nous ne sommes pas là pour forcer les gens à faire quoi que ce soit en lien avec leur santé, nous ne sommes pas en mode investigation, précise la docteure Thommeret-Carrière. Nous souhaitons que les usagers passent un séjour confortable, sécuritaire et non menaçant. Nous avons même réussi à créer une belle dynamique d’étage. »

« S’engager socialement, c’est nourrissant »

Pour ces deux médecins, l’engagement social ne date pas d’hier. Depuis 2013, elles coordonnent le stage d’externat obligatoire en médecine sociale à la Faculté de médecine. Ce stage expose les étudiants en médecine aux réalités des populations vulnérables, leur donne des outils théoriques notamment sur la pauvreté, la santé carcérale et l’itinérance, en plus de fournir des pistes de réflexion sur le rôle social des médecins.

« Nous nous efforçons de dire à nos étudiants que, très souvent, les médecins ont eu beaucoup de chance sur le parcours des déterminants sociaux de la vie, et que cela vient avec une responsabilité, un devoir, soit celui de combattre les inégalités dans l’accès aux soins », témoigne la docteure Goyer.

Le réaménagement de l’ancien hôpital Royal Victoria est donc le reflet de ce désir d’avoir un impact positif sur leur communauté, un engagement qui « nourrit » quotidiennement leur pratique.

 

Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux

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